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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 17:24

  Après le manifeste des Radicalesbians prônant le lesbianisme comme expression et manifestation par excellence du féminisme, Diane Lamoureux analyse un texte d'Anne Koedt, « Lesbianism and Feminism ». Je n'ai pas trouvé cette partie transparente comme de l'eau de source descendant de la montagne de glace, aussi suis-je allée lire de moi-même le texte de Koedt, disponible en ligne ici, pour essayer d'éclairer les dires de Lamoureux. Ce texte est vraiment intéressant, important, il me semble, avec des passages susceptibles de nourrir la réflexion sur plusieurs questions du mouvement féministe – comme celle de ses droits à porter des jugements sur les choix et la vie des femmes (concrètes).

J'aurai besoin de deux posts, celui-ci et le suivant, pour tenter d'en rendre compte...

 

Anne Koedt est une militante féministe états-unienne ; elle a fondé en 1969 les New York Radical Feminists avec Shulamith Firestone, et est surtout célèbre pour son article sur « le mythe de l'orgasme vaginal » (1970).

 

Son texte « Lesbianism and Feminism » peut apporter de l'eau au moulin de nos méditations (cf. article précédent & comm') car elle y présente plusieurs arguments contre la thèse du lesbianisme comme fer de lance du féminisme et des lesbiennes comme avant-garde du mouvement féministe. Les objections qu'elle formule se rapportent toutes plus ou moins à une réflexion centrale, touchant aux liens entre personnel et politique. Ses prises de position sur ce domaine nous ramènent à des questions fondamentales, qui concernent directement nos vies, nos valeurs, nos engagements, et ce que militer veut dire : quelle place nos convictions politiques peuvent-elles et doivent-elles occuper dans la façon dont nous organisons nos vies ? dans l'intimité de notre construction psychique, émotionnelle et affective ? qu'est-ce que lutter politiquement ? Au-delà, le texte d'Anne Koedt attire l'attention sur les rapports de pouvoir au sein des mouvements militants eux-mêmes, sur les dynamiques d'exclusion et la distribution unilatérale du droit de se dire engagé.e, militant.e, « libéré.e », sur la prétention de certains et certaines à contrôler la vie des autres.


Mettre en miroir le texte d'Anne Koedt avec celui des Radicalesbians, en les opposant comme je le fais ici, est artificiel et un peu fallacieux ; A. Koedt ne prétendait nullement répondre précisément aux militantes de la Lavender Menace en écrivant cet article. « The woman identified woman » a été prononcé par les Radicalesbians dans un contexte bien particulier, qui est celui de l'occultation voire du rejet de la problématique lesbienne et des personnes lesbiennes dans le mouvement féministe. La voix qui s'est élevée ce jour-là dans l'auditorium de la deuxième conférence pour l'Union des femmes était une voix niée, dominée, minorée. Et le discours prononcé, aussi (même si pas seulement), un discours de fierté.


Les arguments d'A. Koedt doivent être saisis dans un contexte qui peut être tout différent. Et ce qui définit en premier lieu ce « contexte », c'est l'organisation du pouvoir en son sein. Dans le cas des Radicalesbians devant la NOW, les lesbiennes sont, face à la grande majorité de ces féministes, plutôt réformistes, et assurément hétérosexuelles, en position d'être dominées. Dans la situation de discours où se place Anne Koedt, des femmes lesbiennes énoncent « la bonne voie » du féminisme, l'imposent comme seule possible aux autres femmes, et nient même aux femmes hétérosexuelles le droit de se dire pleinement féministes :


« If you are a feminist who is not sleeping with a woman you may risk hearing any of the following accusations: “You’re oppressing me if you don’t sleep with women”; “You’re not a radical feminist if you don’t sleep with women”; or “You don’t love women if you don’t sleep with them.” I have even seen a woman’s argument about an entirely different aspect of feminism be dismissed by some lesbians because she was not having sexual relations with women. »


(Je reconnais que ça peut paraître un peu gros dans le contexte général de lesbophobie et d'évidence non questionnée de l'hétérosexualité... Mais bon, A.K. fait référence, ici, à des mondes militants, qui ont leurs équivalents aujourd'hui encore, et le lesbianisme peut être remplacé par d'autres modes de vie, d'identification et de présentation, qui fonctionnent comme des « certificats de féminisme authentique » (l'auteure en énumère d'ailleurs elle-même un certain nombre dans son texte : ne pas s'habiller sexy, ne pas être mariée, ne pas vouloir d'enfants, etc.) On peut ainsi comprendre ce passage (également) de la façon suivante : « Si vous êtes une féministe mariée / une féministe qui porte une mini-jupe et un décolleté / une féministe qui croit en Dieu (etc.), vous risquez d'entendre ce genre d'accusations... ».)

 

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commentaires

A
<br /> <br /> Je comprends la radicalité nécessaire de l'engagement parfois parce que je m'aperçois dans ma vie quotidienne, que l'homosexualité féminine ne se "vit/voit" absolument pas. Enormément de gens ne<br /> connaissent pas de lesbiennes du tout dans leur entourage. La pression de la norme hétérosexuelle est encore vraiment très forte. Les réactions des parents sont encore très bornées . Une jeune<br /> fille qui veut assumer son homosexualité dans cet environnement doit avoir de la force et du caractère. Je pense toutefois qu'il ne faut pas opposer les femmes hétérosexuelles et les femmes<br /> homosexuelles parce que c'est par la connaissance de l'autre que l'on fait évoluer ses représentations. La réflexion que tu mènes par exemple dans tes articles peut être très intéressante pour<br /> des femmes hétérosexuelles et je pense que ton blog gagne vraiment à être connu par tout le monde. Enfin en tout cas, il bouscule parfois mes représentations, met le doigt sur des choses qui<br /> parfois me dérangent et c'est pour cela qu'il m'intéresse et c'est pour cette raison que je le trouve très riche. C'est ton altérité qui m'intéresse dans la pensée.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
A
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci :))<br /> <br /> <br /> Je suis tout à fait d'accord avec ce que tu écris de l'invisibilité lesbienne et de la<br /> nécessité un engagement radical... Merci encore pour tes lectures.<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> <br /> Hello !<br /> <br /> <br /> très intéressant comme d'hab. J'aime beaucoup ta précision de la fin sur la lesbophobie générale. Car enfin, je reconnais qu'il y a parfois beaucoup de diktats, pas seulement dans le féminisme,<br /> mais dans les milieux militants en général, et il est bon d'en parler et de critiquer toutes les formes d'injonctions. <br /> <br /> <br /> Mais bon...comprends mon "mais bon", toute la société est injonction...OK, ça ne veut pas dire qu'il faut alors les reproduire dans les sphères militantes, mais souvent l'argument du militantisme<br /> comme endroit totalitare est utilisé par des gens qui discréditent le fait de militer et qui donc se servent des écueils, non pas du militantisme, mais du simple fait d'être à plusieurs être<br /> humains autour d'un projet de société. <br /> <br /> <br /> D'autant que les injonctions du militantisme sont tellement inaudibles par rapport aux injonctions dans la société, notamment l'horrible injonction hétéronormative, que les gens ne voient même<br /> pas comme telle [comme tu le rappelais quoi]. Donc je ne peux qu'être d'accord avec une critique des injonctions, mais j'ai une sorte de "réaction". Une sorte de "défense" de mon chez moi : le<br /> monde militant dans sa diversité. J'ai bien compris ce que tu veux dire, et je ne peux que partager la critique de A.K, mais comme je te dit c'est une "réaction", donc à prendre dans un contexte<br /> particulier : l'impression qu'au fond on nous accuse toujours (les militantEs qui cumulent en terme de minorisation) de toujours enjoindre autrui. Alors certainEs d'entre-nous sont<br /> insupportables, mais parfois je me dis qu'il est très dur de pas avoir la rage si par exemple dans un même groupe militant, y'en a qui après la réu vont pouvoir bécoter leurs chéris en public,<br /> quand d'autres ne pourront pas se permettre cela sans 1000 réflexions, craintes etc. <br /> <br /> <br /> Donc voilà, je pense que toutes les injonctions sont à bannir, car elles font inévitablement du mal. Mais celles qui proviennent des endroits minorés sont à prendre comme des "réaction à", de la<br /> rage (mal utilisée certes...).  Mais bon personne n'est parfaite...:)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> ps : bon allez, pardon, j'ai juste été en mode "défense" mais j'espère qu'on voit que je ne suis pas "pour" qu'on juge les vies des autres et qu'on impose des choses. <br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Coucou Gab, je comprends tout à fait ton point de vue et je le partage !<br /> <br /> <br /> <br />

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