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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 13:33

 

Le second article de l'Invention du naturel, écrit par Evelyn Fox Keller, s'intitule « Histoire d'une trajectoire de recherche. De la problématique "genre et science" au thème "langage et science" ».


Evelyn Fox Keller est physicienne. Quand, en tant que scientifique, elle s'est tournée vers le féminisme et les gender studies, elle a commencé par étudier la présence ou l'absence et les rôles (subalternes) des femmes dans l'activité scientifique. Elle a ensuite mis en évidence les différentes manières dont les images traditionnelles du genre ont pu façonner l'entreprise scientifique elle-même.


evelyn.JPGPar « images traditionnelles du genre », elle entend tout un ensemble d'idées ou de pré-idées qui organisent le monde en un pôle féminin et un pôle masculin, une série d'associations qui lient, par exemple, le mâle à l'activité et la femelle à la passivité. Elle parle de « travail symbolique du genre » : féminin / masculin, privé / public, passif / actif, intuitif / rationnel, art / science, désordre / ordre, autant de dichotomies qui travaillent à structurer notre monde. Ce travail symbolique du genre rappelle la pensée straight qu'épinglait Monique Wittig (ou le « tas de représentations » de Christine Delphy). Il transparaît et opère tout à la fois à travers le langage, et en particulier par le biais des métaphores dont on use, aussi, dans le langage scientifique.


De l'étude de la place des femmes dans l'organisation scientifique, Evelyn Fox Keller passe ainsi à l'analyse du langage et du rôle qu'il joue dans l'activité scientifique. L'usage des métaphores, en particulier, peut-il avoir un effet sur les connaissances qui sont obtenues ?

Oui, répond très clairement Fox Keller : le travail symbolique du genre introduit, via le langage, nos valeurs et croyances culturelles dans la pratique de la science, et la modifie. Très concrètement, il motive le choix de certaines expériences aux dépends d'autres, de certains procédés techniques aux dépends d'autres.


E.F. Keller s'appuie, pour sa démonstration, sur les manières dont les biologistes ont décrit le processus de fertilisation, et dont ils l'ont ensuite étudié, en accord avec ces descriptions.

Dans les discours des scientifiques, l'ovocyte était systématiquement désignée comme une sorte de « beauté dormante » (comme la princesse des frères Grimm, note-t-elle) : « transportée passivement », elle « glissait », avant d'être « assaillie », puis « pénétrée » par la ou les gamètes mâles. Le champ lexical désignant le spermatozoïde, tout au contraire, évoquait une activité puissante : il « se propulsait lui-même », « creusait », « pénétrait », « activait le programme le développement », etc.


Du fait de ces descriptions, fortement imprégnées de significations culturelles  touchant à l'organisation des paulo.gifrapports de genre dans nos sociétés, quand il a été question d'étudier plus avant le mécanisme de la fertilisation, aucun biologiste n'a songé à recherché des signes d'activité chez l'ovocyte. On n'en a donc pas trouvé. Et l'idée de l'ovocyte totalement passive, uniquement travaillée par le spermatozoïde, seul élément actif, a perduré, et ce jusque dans les années 1980.


Le problème de cette conception scientifique est qu'elle est fausse, tout simplement.

On sait maintenant que l'ovocyte et le spermatozoïde sont des partenaires mutuellement actifs pendant la fertilisation, et que les structures cytoplasmiques de l'ovocyte jouent un rôle déterminant dans la réussite du processus. Les recherches mettant en évidence le rôle actif de l'ovocyte n'ont été entreprises que dans les années 1970, alors qu'elles étaient techniquement possible dès les années 1930.


Pour cette raison, Evelyn Fox Keller plaide pour l'intégration au cœur même de l'entreprise scientifique des apports du féminisme, et en particulier de ses contributions linguistiques. La mise en évidence des biais sexistes dans les contenus scientifiques, y compris dans les disciplines qui ne sont a priori pas concernées par la différence sexuelle, comme les sciences exactes, permet tout simplement de produire une meilleure science. Comme l'écrit Elsa Dorlin, « le but de Fox Keller est de montrer que les études féministes des sciences ne sont donc pas de l' « anti-science » comme on se plaît à le croire, mais qu'elles participent à l'élaboration d'une science plus « objective ». » (Sexe, genre et sexualités, p.27)

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commentaires

G
<br /> <br /> Yep, bel article<br /> <br /> <br /> j'ai bcp aimé dans épistémologie du placard qd M. Cervulle parle des études féministes et de la recherche des positionnements des sciences comme des "plue-value épistémologique". Cela rejoint<br /> l'idée de sciences "plus objectives".<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> C'est tout à fait vrai. Il faudrait opérer toute une série de déconstructions des concepts à la manière de Derrida. Ce qui se fait dans les études féministes. En sciences humaines cela est encore<br /> plus flagrant et notamment en psychologie.<br /> <br /> <br /> <br />
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