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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 21:21

  (Je n'ai pas du tout fini d'écrire toutes les choses que j'aurais aimé écrire au sujet de cet article de Laura Alexandra Harris – mais le syndrôme du pas-de-temps et un océan de flemme ont eu raison de mes motivations, je jette la spontex pour l'instant... puis j'ai vraiment envie de vous parler de la suite.)

 

                                                            * * * * * *

 

Le 8 février dernier je suis allée assister à une intervention de Gabriell Galli à l'Ehess, dans le séminaire de Gianfranco Rebucini, « introduction à l'anthropologie du genre ». Ça s'appelait « Nationalismes sexuels, homonationalisme : genre, race et sexualité dans la construction des nations », et c'était vachement bien (voire plus). Je m'en vais vous raconter tout ça ci-dessous.

 

(Comme chaque fois que je compte-rendise une intervention orale d'après mes notes, je m'excuse par avance pour les raccourcis, approximations, oublis, éventuelles erreurs et autres contre-sens ici ramassés... et vous pourrez considérer que chaque ligne pertinente et intéressante vient directement de lui, tandis que tout commentaire flou et incongru vient de moi sans détour )

 

Gabriell Galli commence par une petite intro sur le concept de nation, rappelant qu'il nous vient tout droit du XIXe siècle et que les écrits d'Ernest Renan et d'Eric Hobsbawm font mouche sur le sujet. Il cite également Ernest Gellner, pour qui le nationalisme est la justification religieuse et civile de l'État : il s'agit de justifier un pouvoir central en créant une mythologie nationale. Il rappelle que toute nation implique une définition de soi par rapport aux autres, et que tout ce qui unit sépare, des autres réels ou fantasmés.

 

Riva Kastoryano a forgé le concept de nationalisme transnational, qui s'applique par exemple à merveille au cas européen d'aujourd'hui. Pour Gabriell Galli, cette notion de nationalisme transnational permet également d'analyser l'entreprise de la conquête coloniale au XIXe siècle, et ce bien que les différentes nations colonisatrices aient alors été en concurrence les unes avec les autres, car on trouve en permanence, dans les textes de l'époque, des formulations comme « nous, Européens... » Elsa Dorlin l'a bien montré dans La Matrice de la race : par ce « nous, les Européens », les colons s'opposent aux « Africains », c'est-à-dire, dans leur bouche, aux Africains noirs. La conquête coloniale a ainsi donné une unité à l'Europe.

 

homonaDans l'enseignement dispensé en France dans les collèges et lycées comme dans les universités, on sépare « l'histoire de France » (c'est-à-dire de la métropole) de « l'histoire de la colonisation » (l'histoire de l'empire). Une critique fréquente des historien.ne.s des États-Unis porte sur le caractère factice de cette séparation : vous parlez de deux choses différentes, dit par exemple Ann Laura Stoler, comme si le colonialisme n'expliquait pas qui vous êtes... Ces « deux histoires » doivent être pensées ensemble : s'agit bien d'une seule et même histoire.

 

Pour construire ce « nous Européens » contre les Africains, ce sont des catégories de genre et de sexualité qui sont utilisées.

G. Galli définit le nationalisme sexuel comme le processus par lequel des élites utilisent des catégories sexuelles pour construire une mythologie nationale – bel exemple, la façon dont « nous, les Européens » sommes censés tendre de tout temps vers une plus grande liberté de mœurs.

 

C'est Jaspir Puar qui invente le mot d' « homonationalisme » (et le concept qui va avec). Elle parle alors des États-Unis, et vise le discours selon lequel le progressisme LGBT serait proprement états-unien par opposition au conservatisme – voire au caractère arriéré – des musulmans (terroristes, intégristes, fondamentalistes, etc.)

 

George L. Mosse a écrit une histoire de la masculinité en Europe ; il montre comment l'idéal masculin moderne qui apparaît à la fin du XVIIIe siècle en Europe, fondé sur le triptyque harmonie proportion contrôle, est lié au nationalisme européen. Les nations européennes incarnent un idéal viril, et la métaphore hétérosexuelle genrée sert à penser la colonisation : avec un pôle actif et un pôle passif, un pénétrant et un pénétré. L'Europe figure le corps viril, et l'Afrique la terre à pénétrer.

 

La première guerre mondiale coïncide avec un nouveau pic de nationalisme (les idées d'honneur et de sacrifice sont fortement valorisées) ; des résistances se font néanmoins jour, autour des mouvements féministes et ouvriers à l'extrême-gauche. Ces résistances sont pensées par leurs adversaires comme des modes d'efféminement.


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Dans son ouvrage La Matrice de la race, Elsa Dorlin examine la façon dont les Européens parlent de la sexualité des Africains, et met en évidence le mécanisme par lequel les catégories de race sont formées à partir des catégories de sexe forgées en Europe.

Elle analyse en particulier les écrits de François Bernier en 1684, qui fournissent un parfait exemple de descriptions racialisées mettant en jeu le genre et la sexualité. Elle identifie trois points centraux dans ces descriptions :

- l'indistinction des caractères sexuels chez les Africains, interprété comme un signe d'infériorité : les hommes n'ont pas vraiment plus de poils que leurs femmes ; les femmes sont viriles et agressives, leurs organes génitaux sont trop grands ;

- leur sexualité débridée qui les rapproche des animaux – déjà à l'époque, les colons considéraient qu'il était de leur devoir de sauver les femmes africaines des hommes africains et de leur bestialité (« to save brown women from brown men », selon la formule de Spivak) ;

- les femmes africaines sont débauchées, ce qui est mis en rapport avec leur trop grande virilité.

Gabriell Galli résume : il faut sauver les femmes de la sexualité bestiale africaine, mais en même temps, elles aussi sont perverties. Les Africains sont racialement invertis, les femmes sont trop viriles, les hommes trop efféminés, et l'hétérosexualité animale africaine est opposée à l'hétérosexualité conjugale européenne. 

 

Gabriell Galli en vient ensuite à la négation de l'homosexualité en Afrique de la part des Européens, s'appuyant pour cela sur les analyses de Marc Epprecht.

Selon l'idéologie qui prévaut en Europe au XIXe siècle et qu'étudie Epprecht, les Africains sont plongés dans la nature et régis par l'instinct, ils ne peuvent donc qu'être hétérosexuels. Les Européens « normaux », eux, ont accédé à la civilisation, qui contient la sexualité et la rend morale : ils pratiquent l'hétérosexualité conjugale. Quand la civilisation dévie, des Européens anormaux apparaissent : les homosexuels, qui sont civilisés mais pervertis. Ainsi les Africains ne peuvent pas être homosexuels, non pas en raison d'une quelconque moralité, vertu ou plus grande « normalité », mais simplement parce qu'ils sont trop loin de la civilisation pour cela. L'homosexuel est un déviant de l'intérieur, il est civilisé, il faut juste qu'on le soigne, tandis que l'Africain est en dehors de la civilisation. Il est hétérosexuel par instinct et ne connaît pas la relation conjugale.

G. Galli note que ce raisonnement a parfois été repris par certaines élites africaines dans des discours identitaires.

 

Et la suite dans le prochain épisode....

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commentaires

R
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J
<br /> Coucou, merci à toi d'avoir effacé le premier com' rempli de fautes d'orthographe lol et le deuxième censé soit disant le corriger en a aussi, mais bon tant pis lol Sinon, je voulais juste dire<br /> que le bouquin de Puar en anglais est traduit en français, il sortira le 13 avril. Voilou, et il y a aussi une conférence en avril 2013 à NYC (hi hi) avec Puar sur l'homonationalisme toujours, et<br /> plus largement les articulations entre sexualités et race http://web.gc.cuny.edu/clags/pages/homonationalism.html<br />
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A
<br /> <br /> ben justement j'avais réservé mon jet pour ce we-là... XD<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Corrections (ah la la...)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Coucou toi :) <br /> <br /> <br /> merci pour ce clair CR ! sinon le truc que j'aimerais dire c'est que les termes "nationalismes sexuels " et "homonationalisme" sont parfois mis en concurrence, alors que pour moi,  le<br /> premier renvoie à un usage global du genre et de la sexualité pour se définir en tant que nation, alors que le second renvoie spécifiquement à l'usage de questions gays et lesbiennes, toujoures<br /> pour se définir en tant que nation, par rapport à d'autres. Donc en gros l'homonationalisme, serait selon moi un des aspects du nationalisme sexuel, tout comme l'est ce que l'on peut appeler<br /> "fémonationalisme" (usage des rapports de sexe à des fins nationalistes, racistes). Aussi, l'homonationalisme serait remonterait à la politisation des questions gays et lesbiennes dans les années<br /> 70, alors que le nationalisme sexuel serait consubstanciel aux créations mêmes des nations au XIXe siècle. C'est à dire que la nation aurait été toujours sexuellement définie (nationalisme<br /> sexuel), et que l'usage des questions gays et lesbiennes serait une de ses variantes depuis une quarantaine d'années (homonationalisme). Cela me semble important de revenir là-dessus car la mise<br /> en concurrence des deux notions, plutôt que leur explicitation, empêche de comprendre un phénomène plus gobal, assez simple à saisir lorsqu'on donne du poids aux deux notions.<br />
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A
<br /> <br /> merci merci merci ! hésite pas à rajouter / corriger et tout et tout si le coeur t'en dit ! <br /> <br /> <br /> <br />

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