J'étais partie de l'article de Laura Alexandra Harris « Féminisme noir-queer : le principe de plaisir », et depuis cette phrase « Pendant des années je me suis vue comme une féministe, et si je ne sais plus très bien ce que ça impliquait au juste, il s'agissait, j'en suis sûre, d'être sexy », je suis partie vers les talons aiguilles et autres jupes moulantes. Je continue ma parenthèse en forme de circonvolution du côté des jupes.
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Colette Guillaumin dit un truc sympa à ce propos :
« Les jupes, destinées à maintenir les femmes en état d’accessibilité sexuelle permanente, permettent de rendre les chutes (ou de simples attitudes physiques atypiques) plus pénibles pour l’amour-propre, et la dépendance mieux installée par la crainte qu’elles ne manquent pas d’entretenir insidieusement (on n’y pense pas clairement) sur le maintien de l’équilibre et les risques de la liberté motrice. L’attention à garder sur son propre corps est garantie, car il n’est nullement protégé mais au contraire offert par cette astucieuse pièce de vêtement, sorte de volant autour du sexe, fixé à la taille comme un abat-jour. » (dans Sexe, race et pratique du pouvoir, 1992, p.86)
[ Petit aparté : j'adore la façon dont cette citation apparaît sur le net – je me souvenais vaguement, mais pas clairement, de ce passage de Guillaumin, je tape donc « Colette Guillaumin jupe » dans Google, et je tombe sur cette page, sur cet article de Frédérique Giraud dans lequel elle cite abondamment Bourdieu à propos des jupes – et c'est tellement réjouissant de lire ce petit comm' laissé par Karim Hammou « Peut-être Pierre Bourdieu lisait-il en secret Colette Guillaumin ?» ]
Cet article judicieusement commenté commence justement par l'évocation du bouquin de Christine Bard, Ce que soulève la jupe – que je n'ai pas lu ni feuilleté – mais dont j'imagine qu'il doit montrer, comme le fait ici la confrontation de Guillaumin et de Laura Alexandra Harris (ou de Cher...) que la jupe (pas plus que le foulard) n'a de signification univoque, et ne peut être rangée catégoriquement ni dans les accessoires féministes ni parmi les instruments d'oppression anti-féministes. (Ah ben oui, c'est dit ici, dans cette analyse&compte-rendu un peu critique, et qui finit par Florence Foresti, fallait oser.)
J'ai tout de même du mal avec le « Printemps de la jupe et du respect », et plus encore avec La journée de la jupe... (j'aime pô trop les « attributs de féminité reconquise ») (peut-être parce que j'ai du mal avec la « féminité » et le « féminin » et surtout les injonctions à l'être ou le rester ?))
A la réflexion, je sais clairement pourquoi ces injonctions à être ou rester féminine déclenchent chez moi une série de manifestations allergiques allant de la nausée à l'irruption cutanée maculopapuleuse. Mais que penser, par exemple, de la haine (les mauvais jours) ou du moins du dédain qui me fait froncer le nez quand je croise des femmes en escarpins à talons ? Que personne n'a injonctées, je veux dire, qui se sont injonctées toutes seules ?
(Quand je rigole grassement dans ma barbe des femmes qui courent comme des grues sur leurs hauts talons de chaussures torturantes, ridicules, je ne me sens pas totalement dans mon bon droit de conscience juste... Plutôt comme une sale teigne.)
Je ne suis pas certaine que ça ait quelque chose à voir, mais ça me rappelle une remarque d'Elsa Dorlin lors d'une de ses interventions. Elle disait : « le point de vue théorique et pratique féministe d'où je parle est misogyne », et donc « certains discours qu'on peut dire misogynes peuvent me faire écho ». Misogyne était alors à comprendre comme « contre la féminité, les normes de féminité », et pas « contre les femmes ».
Je me souviens que l'ami avec lequel j'avais assisté à cette intervention d'Elsa Dorlin m'avait dit être un peu dérangé par sa façon de s'afficher ainsi « misogyne » - comme si un malin petit plaisir fielleux pointait sous son sourire académique – un petit plaisir qui pouvait avoir partie liée avec les dragons rouges et noirs tatoués sur ses bras.
Le problème, quand on réfléchit (par exemple) à ces histoires de jupe, c'est qu'on est parasité en permanence par le racisme qui imprègne un nombre considérables de discours sur ces questions (tout ceux qui, de près ou de loin, s'apparentent aux discours de NPNS). (Le sexisme, c'est dans les banlieues, on ne peut pas mettre de jupe dans les cités et autres zones de non-droit abandonnés aux barbares, les musulmans nous empêchent de mettre des jupes et d'être féminines, etc.)
Pour parvenir à s'éclaircir un peu les idées sur ce sujet, donc, il faut changer complètement de cadre de pensée – peut-être mettre au centre de cette réflexion non plus la jeune femme qui habite en banlieue, mais une personne transsexuelle ou transgenre mtf pourrait en être un bon moyen ? (Non pas que seule une personne mtf puisse éprouver le désir légitime d'être « féminine ». Mais il me semble que venant d'une personne ftm, ce désir sera plus difficilement rembarré par mes petits élans fielleux – ces élans qui voudraient, parfois, rhabiller en survêt' et baskets toutes les grues en escarpins et jupes trop serrées que je croise dans la rue – élans mauvais, acrimonieux, venimeux. Mauvaise bête que je suis.)
Pourquoi veut-on (on générique) « être féminine » ? Où est l'aliénation, où est le pouvoir, où est le plaisir, où est l'oppression ?
Je suis davantage habituée à associer le féminisme avec les formes de la masculinité ; Madeleine Pelletier est un peu mon idole. Je me méfie comme de la peste de toutes les injonctions à la « bonne féminité », et du féminisme version Elle ou Marie-Claire – faudrait être féministes en veillant bien à rester féminines, dans le rang, séductrices et disponibles, épilées, fraîches et gracieuses.
Alors quelle place faire aux formes de la féminité au sein du féminisme, ou tout simplement hors de l'oppression ?
Les normes de la féminité peuvent-elles être résolument féministes à condition d'être « décalées » ? « réappropriées » ? Si l'on « joue avec » ? On peut écouter ici Wendy Delorme (la fin de l'interview surtout) - qui nous donne des pistes, il me semble.
Je comprends ce que peut recouvrir une « bonne féminité », et ce qui peut venir la « salir ». La bonne féminité est blanche et bourgeoise, et dans un rapport de domination aux autres formes de féminité.
Je comprends que les personnes exclues de la définition de la bonne féminité gueulent hors et fort leurs désirs et leurs droits d'être féminines et d'être reconnues comme telles.
Et pour finir ce post qui ne ressemble à rien sinon au plus dépenaillé des discours emmêlés, j'ai envie de citer la préface d'Éric Fassin à la traduction française de Gender Trouble (histoire de brouiller encore un peu plus les œufs) – juste parce qu'au moment où l'omelette semblait le plus en voie d'être ratée dans ma tête, je me suis souvenue de ce truc (sans savoir où je l'avais lu... il m'a fallu retourner la moitié de ma bibliothèque), et que ça m'est apparu comme un gros bout de réponse à tout ce fouilli :
« On connaît la formule de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. »[...] Mais pour Judith Butler, que l'on naisse femme ou pas (et qu'on soit lesbienne ou pas), on ne le devient jamais tout à fait […]. Parce qu'il s'agit d'imiter sans qu'existe d'original, dans un monde de copies, on ne saurait imiter sans défaut. […] Nouveau mythe de Sisyphe, malgré tous les efforts du monde, nul ne saurait satisfaire entièrement à la norme. » (p.17)
On est toujours en porte-à-faux par rapport à cette foutue norme, toujours un peu décalé, toujours à côté, ça ne va jamais – c'est trop, ou c'est trop peu... (On voit parfois la petite inquiétude dans l'œil de la femme « trop » féminine – qui en a fait juste un peu trop (on pourrait lui dire en lui tapant sur l'épaule : hey de toutes façons, ça ne va jamais...)
A tout prendre elles peuvent bien essayer avec des escarpins...
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A me relire il m'apparaît en grosses lettres rouges clignotantes qu'un mot manque, un mot dort planqué sous ce texte, comme un crocodile sous la vase – la classe. La classe sociale qui a tant à voir avec l'escarpin, avec la norme, avec le « trop féminine », avec ce que d'aucuns appellent la « vulgarité », avec....
Puis je pense que tout ce que j'ai écrit au dessus est très insatisfaisant parce que je réfléchis sur la base d'une féminité, or il y a des féminités. Et en particulier des féminités qui brodent sur les thèmes de la délicatesse, la finesse, la fragilité, la grâce, et d'autres qui sont plus solidement arrimées à des formes de forces et de pouvoir.
Enfin, j'arrête là le massacre intellectuel, et je me tais .