C'est bizarre, quand j'ai lu ce chapitre de Despentes, sur son expérience de la prostitution, une question ne me quittait pas, s'affichait en surimpression sur chaque paragraphe que je lisais : est-ce que j'en serais capable ?
Ma réponse était plutôt non.
Ça me rappelle une discussion avec un ami, au sujet de cette affaire d'annonce de job sexuel diffusée par Pôle Emploi. En quoi cela doit-il être considéré comme affreusement scandaleux ? On en était venus à évoquer cette différence entre les personnes, qui fait que certaines sont capables de bosser avec leur corps sexualisé et avec leur sexe (et parmi ces personnes certaines peuvent tout à fait le choisir, dans un contexte de contrainte relative (merde sociale et économique, pas d'accès à des boulots bien payés et épanouissants (car pas de diplôme, et / ou discrimination, etc.)), et que d'autres en sont incapables. A cause de leur socialisation, la façon dont elles se sont construites, à cause de ce rapport à leur corps (/ à leur sexualité, / aux corps des autres) qu'elles ont construit. (Et contraindre ces personnes-là à faire ce genre de boulots (sous peine d'être radiées de l'ANPE), c'est leur faire une violence extraordinaire.)
Je ne me suis jamais sentie puissante parce que je mettais une mini-jupe. Je me suis plutôt sentie empêchée. Empêchée d'abord dans mon corps (tant de mouvements te sont interdits), empêchée ensuite par ces regards, exposée, agressée. (Il me semble. Je reconstruis peut-être un peu ? Depuis ma position de maintenant ? Peut-être. Pas complètement ça j'en suis sûre.) (Quant à dire si le port de talons aiguilles eût jamais pu me donner un sentiment de pouvoir, ça... je saurais sans doute jamais...)
Mais au-delà de ça : je pense que je serais incapable de sortir dans la rue fringuée comme l'était Virginie Despentes, customisée en jouet sexuel géant.
Quand j'essaie de me représenter cette expérience, virtuellement, ce n'est pas un sentiment de pouvoir que je m'imagine ressentir, mais un sentiment de peur. De danger.
C'est vraiment étrange, je me vois comme ça, en mini-jupe talons aiguilles – et je m'imagine forcément raidie, plombée, les larmes au bord des yeux.
Ce serait un véritable supplice de m'obliger à sortir comme ça.
Pourquoi une femme peut-elle sexualiser à fond son corps dans l'espace public, et en retirer un sentiment de pouvoir extrême, et une autre ne le faire qu'aux prix d'un sentiment de vulnérabilité totale ?
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La question de la présentation de soi, et en particulier de la présentation de soi dans l'espace public – au premier chef la question des vêtements – me semble super intéressante. Se sentir bien dans tels vêtements, mal dans tels autres. Pourquoi ?
(Ça me scotche qu'une personne habituée à l'invisibilité dans l'espace public - « cheveux courts et baskets sales » - puisse se métamorphoser en bombe sexuelle comme l'a fait V. Despentes.)
Deux questions se mêlent ici pour moi : celle de la sexualisation des corps, dans les deux sens de « sexe », et celle de la visibilité.
Despentes, quand elle est sortie dans la rue ce jour-là habillée comme une bombasse, était à la fois très féminine (alors qu'auparavant, raconte-t-elle, on pouvait lui dire « monsieur » quand elle allait acheter ses clopes au tabac), très sexualisée (déclenchant un désir furieux d'accéder à son corps), et très visible (être « incroyablement présente », attirer le regard de façon presque hypnotique).
Et là dedans... d'où vient le pouvoir ?
Peut-être le pouvoir qu'elle évoque dans ces pages résultait-il tout autant de son costume de bombasse que de la façon dont elle l'habitait. Peut-être, finalement, a-t-elle réussi ce jour-là une formidable performance de genre : elle a joué ce rôle d'une façon grandiose.
(Peut-être, finalement, « se sentir bien dans telles fringues », c'est juste trouver le bon costume, dans lequel on parvient à réussir une belle performance –qu'on habite avec aisance, grâce, naturel ?)
Peut-être que si je sortais dans les fringues qu'elle a mises ce jour-là, moi, non seulement je ne ressentirai aucun sentiment de pouvoir – mais peut-être même que j'en aurais pas, du pouvoir, tellement j'aurais l'air déguisée pour le carnaval. Je sais pas.
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Après cette petite parenthèse passionnante (si si), dans le post suivant je vous cause des attributs traditionnels de la féminité et de leur rapport au féminisme (enfin, j'essaie ).