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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 09:35

  Pour finir ce bref survol du roman Pas un jour (depuis mes yeux), j'aimerais aborder dans les posts suivants le thème de la sexualité et du désir, et tenter de récolter un peu des interrogations, des réponses et des incertitudes qu'Anne Garréta sème dans ce livre à ce sujet.

 

A dire vrai, cette entreprise de moisson a commencé par un amoncellement désordonné de remarques, piquées comme des têtes d'épingles dans tout le texte, partant dans tous les sens, et dont, me reculant de quelques pas pour juger de l'effet d'ensemble, je n'ai d'abord vraiment pas su quoi faire. Alors j'ai cherché, comme on dit, une « problématique », histoire d'enrouler autour de quelque chose la pelote d'idées que j'avais filées.

Ne peut-on pas... se demander ce qui fait, ce qui montre que ce livre sur le désir n'a pas été écrit par un homme, mais par une lesbienne / que la narratrice n'est pas un homme, mais une lesbienne ? Se demander si, dans ce roman, on trouve les signes du fait que les lesbiennes ne sont pas des hommes (pour paraphraser / jouer avec Monique Wittig, et dans la lignée des réflexions d'Anne Simon dans A leur corps défendant) ?

C'est une jolie problématique, je trouve, mais à laquelle je serai bien en peine d'apporter des pistes de réponses. Pour la bonne raison que je ne sais pas trop, moi, à quoi on reconnaît un homme désirant / désiré qui prend la plume. (Un gros boulet sexiste, oui, je repère assez bien – mais juste un homme ?...) On pourrait envisager de constituer un corpus de textes littéraires issus d'hommes auteurs, qui traiteraient du désir et de la sexualité, afin d'identifier des invariants, peut-être, et de les confronter à la mise en récit qu'opère en propre Anne Garréta, mais, heu, en fait, je vais pas le faire, là..........

 

A défaut d'affronter cette magistrale question, donc, je vais me contenter, petitement et à l'échelle d'un modeste mollusque des côtes bretonnes, d'esquisser le portrait du personnage de Garréta sous l'angle du désir et de la sexualité. « Esquisser le portrait », c'est-à-dire tenter de comprendre, à travers ce que nous livre le texte, la configuration particulière de genre et de sexualité qu'incarne ce personnage ; comment elle désire, qui elle désire, pourquoi ; comment elle éprouve, se représente et met en mots ses désirs pour d'autres femmes, comment elle se positionne dans la relation érotique, et en fonction de quels signes ; dans quels rôles elle se fond.

La lecture qu'a faite Anne Simon de Pas un jour s'est concentrée exclusivement sur le personnage de la narratrice, mais à mon sens l'intérêt du roman est tout autant dans les autres personnages qui gravitent autour d'elle, ces onze femmes, dont pas une ne lui ressemble, semble-t-il, avec qui elle noue des relations chaque fois très singulières, et qui figurent onze autres modalités de la subjectivité érotique – onze autres façons d'incarner un genre et une sexualité, de se positionner dans le désir.

J'aimerais donc évoquer également ensuite (et rapidement ) ces personnages, envisagés comme autant de figures possibles du genre et du désir [faudrait inventer un mot qui veuille dire « imbrication singulière et complexe du genre, du désir et de la sexualité, qui, cristallisée, fonctionne comme une partie de la subjectivité » - pasque c'est un peu long sinon à dire à chaque fois... mais est-ce que je me fais comprendre quand j'écris ça ? Ou je raconte juste n'importe quoi ???]

 

Un petit éclairage, avant cela, sur le roman, afin de vous donner une première idée d'ensemble de la façon dont le désir y est abordé.

Le corps du livre rassemble douze histoires, centrées chacune sur une femme différente. Il s'agit pour Garréta de « raconter le souvenir qu' [elle a] d'une femme ou autre qu' [elle a] désirée ou qui [l']a désirée » (pp.11-12) : deux configurations différentes de la relation de désir sont donc envisagées dans l'énoncé des règles. Bien sûr la frontière entre les deux est floue (puisque le désir peut être réciproque), mais j'ai tout de même essayé de ranger chaque récit dans l'une ou l'autre des catégories. Parmi ces douze histoires, on peut dire que pour quatre, c'est davantage ou d'abord elle qui désire, et pour cinq, six ou sept autres (signe de mon incertitude et de mon malaise à classer), elle est d'abord ou davantage désirée.

Dans trois histoires, elle est plutôt en position de domination vis-à-vis de son amante, et dans cinq autres, plutôt en situation d'être dominée (je prends ici comme signes, pour juger de l'asymétrie de la relation, la manifestation d'un désir ou d'un attachement non réciproque ou non proportionné, ou une asymétrie de positions objectivée par l'âge ou le statut).

Dans deux des récits, l'hétérosexualité de la femme qui la désire est centrale dans la façon dont leur relation se déroule ; dans deux autres récits la femme est présumée hétérosexuelle.

Il ne s'agit nullement (comme on pourrait peut-être s'y attendre ?) d'un roman de coucheries...  Il n'y a qu'une véritable description de scène de sexe dans tout le livre (et encore, avec peu de détails) ; dans six histoires la narratrice fait, a fait ou fera effectivement l'amour avec la femme qu'elle évoque, tandis que dans cinq autres le désir (de l'une ou de l'autre) restera inassouvi.

Enfin, on note une absence totale des hommes dans le roman ; ils n'apparaissent qu'en tant qu'ombres au détour de deux / trois phrases, un caissier ici, le mari d'une amante là (juste présent en pensée), ou comme figures auxquelles la narratrice se compare : Tristan, Don Juan, ou une poignée d'écrivains (pp.31, 11, 112).

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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 07:25

Je continue mon "compte-rendu" de lecture du roman de Garréta, Pas un jour, pour vous causer ici de la présentation de soi de la narratrice : son corps, la façon dont elle le construit et l'habite, la façon dont il est perçu par autrui.

A plusieurs reprises dans le roman, la narratrice nous donne des indices sur son apparence physique et la construction de son corps : elle peut être prise pour un homme.


Butch-2.jpgDans la cinquième histoire qu'elle relate, un personnage s'écrie en la voyant : « qu'il est beau ton disquaire ! ». La narratrice se dit « étonnée du genre de l'exclamation », et explique : « la patronne eut la charité de la détromper sur ton genre » (p.66). Dans la huitième histoire, il est fait mention de « l'ambiguïté de [son] apparence » : « sans aucun doute, disait [la tablée], tu représentais pour l'enfant, et en raison de l'ambiguïté de ton apparence, cette figure du prince charmant que promettent aux petites filles les contes de fées » (p.101). Dans la neuvième histoire enfin la narratrice rapporte un amour de jeunesse avec une camarade de classe ; elle raconte qu'il fut leur difficile de trouver un endroit où s'embrasser sans « causer une émeute », et la petite parenthèse qui suit souligne bien l'importance du regard, qui fait exister les corps comme sexués et genrés : « (Précise, pour l'intelligibilité de ce récit, que tu portais à l'époque les cheveux extrêmement longs.) » (pp.109-110) Si dans la majorité des chapitres, la narratrice peut aisément passer pour un homme, dans celui-ci, son genre est clairement lisible comme féminin pour les passants.

 

D'autres passages du roman nous éclairent sur la construction genrée de son corps. Dans la quatrième histoire, elle mentionne un caleçon – sous-vêtement ordinairement porté par les hommes : « tu étais en caleçon et la brosse à dents en main lorsque le téléphone sonna » (p.53). Quelques lignes plus loin, la narratrice attire notre attention sur les façons d'habiter son corps, et sur la part que prend le genre (en tant que dispositif de dressage des corps) dans cette construction : la femme qui est au cœur de ce court récit « est assise à [sa] gauche […]. Elle se tient sur son bord, resserrée sur elle-même. Toutes ses manières, et jusqu'à celle de s'asseoir, sont d'une parfaite féminité. Ou comment occuper dans l'espace du monde le moins de place possible. » (pp.53-54) A l'opposé de cette hexis corporelle féminine, la narratrice est « calée confortablement au fond du fauteuil, les bras reposant sur les accoudoirs, jambes allongées devant [elle] » (p.53).

Ce chapitre est décidément intéressant du point de vue de la présentation de la narratrice par elle-même, car juste à la suite vient ce passage, dans lequel elle semble se déclarer, se reconnaître « non féminine » (selon une norme ou un ensemble de normes de la féminité (celui, par exemple, qui pousse les femmes à s'asseoir comme des oiseaux perchés à l'extrémité de leur fauteuil)), et le revendiquer : « Quant à la conversation, il te semble qu'elle a commencé par porter sur tes mauvaises manières, sur cette façon pas très féminine que tu as de t'habiller (à preuve le blouson de cuir qui ne te quitte jamais), de te tenir, de parler en te foutant de tout. Cette manière de monter à l'assaut et de dévaster les positions adverses. Choses que tu reconnais bien volontiers, mais dont tu ne t'excuses pas. Ton attitude la choque. Elle te dira plus tard avoir envié cette désinvolture. » (p.54)

 

Sa mise en scène d'elle-même, par ses postures, les vêtements qu'elle porte, sa façon de se couper les cheveuxbutch-is-beautiful.jpg et de les coiffer, sa façon de parler, peut donc être décrite comme « masculine ». Ou plutôt comme ambigüe, androgyne ; son corps n'est pas immédiatement lisible en terme de genre dans l'espace public : il suscite doutes, quiproquo, incertitudes, peut-être malaise. Il y a flottement.

Elle adopte certaines pratiques résolument masculines, comme celle de porter un caleçon plutôt qu'une petite culotte. C'est peut-être un choix purement pratique, de confort (de la même manière qu'on peut choisir de ne pas porter de jupe ou de talons hauts : parce que c'est chiant, handicapant, qu'on ne peut pas courir avec, que ce sont des attributs féminins qui contraignent et limitent). (Ça peut donc être un choix politique en même temps qu'un choix pratique.)

C'est peut-être la recherche d'une certaine présentation esthétique de soi, un mode d'identification, un plaisir (comme on choisit un « look », comme on arbore un piercing) : le plaisir de s'affirmer et de se présenter sur ce mode-là. (C'est sans doute les deux.)

L'hexis corporelle « peu féminine » qui est la sienne est explicitement associée à une forme de pouvoir, ou de résistance : quand elle décrit la posture « d'une parfaite féminité » de sa future amante, elle la traduit immédiatement en termes de limite, de rétrécissement, de tassement de soi («  comment occuper dans l'espace du monde le moins de place possible », p.54). La narratrice, elle, ne craint pas de prendre de la place.

N'être « pas très féminine », pour la narratrice et son interlocutrice de la page 54, c'est se montrer à la fois « [désinvolte] », se « [foutre] de tout », et combative : « monter à l'assaut et […] dévaster les positions adverses ». Ce paragraphe associe très clairement la masculinité à l'assurance et au pouvoir.

La déviance de genre de la narratrice suscite chez son amante un sentiment de surprise, de déstabilisation (« ton attitude la choque »), et d'envie (comme si elle se disait... alors vivre comme cela est possible ? Être une femme de cette façon-là est possible ?).

 

Que penser enfin de la formule d'Anne Simon, comme quoi Anne Garréta « se représente comme de genre masculin » (p.33) ? Sa narratrice en tout cas ne se « représente » pas « comme de genre masculin ». Le mot de « genre » apparaît à deux reprises, lorsqu'on la prend pour un « il », et l'auteure joue sur le double sens du terme, grammatical et sociologique. Les deux fois, Garréta qualifie explicitement le jugement de ses interlocuteurs/trices d'erreur : « la détromper sur ton genre », p.66, « se fût trompée de genre », p.101. Il n'est donc pas exact, selon la narratrice, que son genre soit masculin.

On peut dire en revanche que le genre qu'elle performe est complexe.

 

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 19:17

  J'ai lu une première fois le roman de Garréta, puis je l'ai repris pour gribouiller des numéros de pages sur mon petit carnet ; et de mes gribouillis j'aimerais tirer ceci :

1. vous parler d'abord des « habitudes sociales » du personnage de la narratrice (qu'Anne Simon épingle comme typiquement masculines),

2. évoquer ensuite la « présentation de soi » de la narratrice, en lien, en particulier, avec son genre,

3. mettre enfin les pieds dans le plat de la sexualité et du désir.

 

kimaPour Simon, le personnage de la narratrice « se définit comme relevant du « masculin », tant dans ses habitudes sociales que dans sa sexualité » (p.35) ; et par « habitudes sociales », elle entend manifestement ceci : « La narratrice est [...] une adepte des bars et du cognac, des pompes et des katas, des voitures et de la menuiserie. » (p.34) Examinons donc ces habitudes.

 

L'alcool. Dans quatre des douze chapitres, il est fait mention de cognac ou de whisky. Dans un tiers des histoires donc, la narratrice boit un coup. (Il est vraisemblable qu'Anne Garréta elle-même ait un goût pour les alcools forts, et particulièrement le cognac et le whisky.) (Elle se pochetronne pas non plus hein... pas de scènes de poivreautage dans ce roman assez upper-class. (D'où le cognac, d'ailleurs – et on peut imaginer le whisky du meilleur cru, genre gros mec à cigare.) Garréta a fait une khâgne à Henri IV et Normale sup, et n'a jamais été keuponne comme Virginie Despentes, à vomir de la bière dans les concerts de rock... ).

 

La menuiserie. (Ça, c'est la mention la plus marrante.) Dans l'une des histoires, il y a une occurrence de ce thème, une remarque, donc, sur une page du roman, et qui dit ça : que l'appartement de la narratrice est un vrai bordel, croulant sous les livres, et qu'elle a l'intention sans cesse repoussée de se construire des étagères ; elle raconte qu'elle passe une nuit à dessiner un plan de bibliothèque, et qu'elle regrette de ne pas avoir d'atelier pour fabriquer tout ça, alors qu'elle a à disposition des outils. Bon. (Voilà pour la masculinité réifiée. ???)

 

Le sport. Les pompes et les katas. De cela il est question dans l'une des histoires. La narratrice évoque un cours de sport de combat auquel elle participe régulièrement. Mais là où c'est franchement marrant, c'est qu'il s'agit en fait... d'un cours d'autodéfense féministe !! un « cours de self-defense for women » (p.116). Typiquement masculin, donc...

 

Enfin, les voitures. Deux histoires sont concernées ici.

J'en parlerai davantage plus tard, quand j'aborderai la question du désir et de la sexualité dans le roman, car la mécanique et les voitures fonctionnent dans le livre sous la forme de métaphores (de la littérature, du sexe, et surtout du désir).

Je me borde à noter ici que le choix de cette métaphore traduit (aussi) l'importance de cette thématique dans la vie de la narratrice (« la mécanique » a donc sa place dans la liste des « habitudes sociales » dressée par Anne Simon). La narratrice aime à partir pour le longues virées en solitaire dans sa Pontiac. Je pense aux romans de Paul Auster (au début de la Musique du hasard, particulièrement) (et dans ces romans les personnages sont toujours des hommes) ; et je me laisse à penser que la voiture, avant d'être l'attribut d'une virilité réifiée, peut être l'instrument de l'autonomie.

 

A la liste des « habitudes sociales » masculines établie par Simon on peut rajouter le goût du billard (p.18), du flipper et des girlfightjeux vidéos, et particulièrement des jeux de baston : la narratrice joue en effet à Mortal Kombat... (p.87)

 

Que conclure de tout cela ?


D'abord, que les pratiques sociales de ce personnage ne sont pas si fortement marquées au masculin que l'écrit Simon. Mais finalement, est-ce si important ? Ce roman peut être l'occasion de réfléchir aux questions que soulèvent les personnes qui, bien que se présentant d'un genre donné, adoptent les pratiques ou une partie des pratiques associées pour autrui à l'autre genre.

 

Je vous propose de vous livrer à un petit exercice de pensée [pardon pour le lien, j'ai pas pu résister ]. Imaginons une personne dont le corps (la corpulence, le traitement de la pilosité et des cheveux, les accessoires et les vêtements) ; la façon de se tenir, de marcher, de s'asseoir) seraient parfaitement conformes à l'expression d'un genre donné.

Y aurait-il dissonance si cette personne existait socialement – dans tout ce qu'elle dit, dans tout ce qu'elle fait, dans toute la part qu'elle prend au monde – comme une personne du genre opposé [y a-t-il dissonance si, depuis et avec mon corps, je fais tout ce que fait mon frère] ?

 

Ce petit sport revient à traquer les marques du genre dans son corps et son existence sociale, qui sont susceptibles d'être lues par autrui : les signes pertinents, l'univers de significations lisibles par autrui dans une culture donnée.

 

Pour Anne Simon, vraisemblablement, dans le personnage forgé par Anne Garréta, il y a dissonance (il y a pour elle un décalage lisible). Pourtant, ce que critique la chercheuse ne peut être la non adéquation du personnage aux normes de la féminité : le livre entier vise à dénoncer « la dangereuse perpétuation d'une forme d'essentialisation du féminin » (4e de couv'). Que critique-t-elle, alors, dans le comportement et les attitudes de la narratrice ?

Je fais l'hypothèse que la critique proférée par Anne Simon peut être interprétée dans cette perspective : à ses yeux, ces habitudes sociales ne sont pas seulement masculines, elles relèvent d'une mauvaise masculinité.

 

Dans son ouvrage « Se dire lesbienne. Vie de couple, sexualité et représentation de soi », Natacha Chetcuti écrit ces lignes sur l'aspect péjoratif de l'appellation « camionneuse » :

« Le terme butch remplace celui de « camionneuse » dans le contexte social actuel, ce qui évite l'effet répulsif de ce mot. Ce qui est rejeté par les lesbiennes à travers la figure de la camionneuse, ce n'est pas seulement l'emprunt d'attributs masculins, c'est de doubler cet emprunt d'attitudes et de comportements identifiés à ceux des hommes, et en particulier des hommes de la classe populaire, à la virilité perçue comme outrancière. » (, p.85) (C'est moi qui souligne.)

 

Ces lesbiennes qui se revendiquent butch ne revendiquent pas n'importe quelle forme de masculinité. Les différentes configurations culturelles de « féminités » et de « masculinités » sont les résultats du croisement du genre avec d'autres formes de rapports de pouvoir, comme la race ou la classe ; la « camionneuse » incarne la masculinité populaire, une des formes de la « mauvaise masculinité » (trop de masculinité, masculinité outrancière, virilisme), de la même façon que la féminité populaire est souvent jugée vulgaire (là aussi, excessive : trop de maquillage, trop sexualisée, etc.).

 

La narratrice de Garréta n'appartient pas à la classe populaire. Pour autant, la forme de masculinité qu'elle incarne est excessive, pour A. Simon : elle parle de « caricature ».

Il me semble que l'accusation d'excès est une façon d'exprimer son rejet à l'égard d'une configuration donnée du genre. Pour Anne Simon, cette formule-ci du masculin n'est pas bonne.

 

A quoi pourrait ressembler une bonne masculinité pour Simon ? Je l'ignore. Peut-être à une femme libérée . En tout cas, à une femme avec un peu moins de cambouis sur les mains et de whisky dans le foie.

 

Je laisse ce post extrêmement désordonné en suspens. (Parce que ma débroussailleuse à idées est en panne. Vive les friches.)

 

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 09:18

  Ayé. J'ai lu "Pas un jour" d'Anne Garréta. En entier.

Et suite à mes blablas précédent, qui avaient pour source le livre "A leur corps défendant," j'aimerais bien mettre du clair (ici devant vos yeux ébahis) dans ce que Garréta fait du genre et de la sexualité dans son roman. (Parce qu'il me semble que c'est intéressant. Que c'est pas banal. Que ça... allume plein de petites lucioles dans la tête, comme des questions. (Ou plein de petites questions comme des lucioles, c'est selon.))

 

Je commence par vous présenter brièvement le machin.

 

pasunjour.jpg147 pages, un Ante scriptum, un Post scriptum, et 12 petits chapitres entre les deux. Dans l'Ante scriptum, Garréta nous annonce qu'elle va se livrer à un jeu dont elle établit les strictes règles : « tu t'assigneras cinq heures […] chaque jour, un mois durant, à ton ordinateur, te donnant pour objet de raconter le souvenir que tu as d'une femme ou autre que tu as désirée ou qui t'as désirée » (pp.11-12). (Grande règle directrice, assortie d'une louche d'autres petites règles.) Dans le Post scriptum, elle nous avoue qu'elle n'a pas du tout réussi à respecter ces règles formelles ; et surtout, elle nous fait cette farce, ce petit tour de passe-passe, qui m'a plu (qui m'a faite sourire, que j'ai trouvé malin) : « dans la série de ces nuits, il y en a une, au moins une, qui est une fiction. Et tu ne diras pas laquelle. » (p.144)

Dans ses douze brefs chapitres, Anne Garréta égraine donc douze souvenirs de femmes, désirées, désirantes.

On ne peut pas dire que j'aie adoré ce bouquin – m'enfin, je suis loin de trouver ça nul – disons qu'elle a parfois une jolie plume, des phrases qui accrochent, certaines histoires m'ont gonflée certes, mais d'autres plutôt saisie ; c'est pas vraiment mon bol de thé, ces fariboles-là (circonvolutions autour d'un nombril assez sûr de lui, quelques digressions un peu oiseuses un peu fumeuses, certaines pages assez pédantes), mais...


En fait, voilà : l'intérêt principal de ce roman, à mon sens, c'est ce qu'il dit de la sexualité et du genre. (Ce qu'il dit, ou ce qu'il faut aller chercher, dessous - en déshabillant la poupée.)

 

 

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23 octobre 2010 6 23 /10 /octobre /2010 11:12

En complément de l'article précédent, je vous colle ici un extrait d'un texte de Lola Lafon, le Chant des batailles désertées, qui fait écho (pour moi) à ce que j'écrivais il y a quelques jours...

(Les caractères gras sont de mon fait.)

 

« Subversives, les femmes qui commentent inlassablement leur sexe, leur désir, comme enfermées dans une maison de chair, autophages, bientôt ? Sous des apparences joyeusement trash, revoilà l’injonction éternelle faite aux femmes de retourner à leur corps, au-dedans… Me voilà remise à ma place, enfermée face à mon sexe, cette place qui a toujours été la nôtre, où les femmes sont attendues et contenues, cette maison trop chaude : l’intime. La radicalité féministe aujourd’hui semble tourner presqu’uniquement autour de ce qu’on fait, ou pas, à et avec son corps. [...]

Le corps des femmes semble n’avoir aucune autre alternative que de toujours s’en remettre à un Empire. Empire-état, patriarcal, qui nous protègerait de ses lois, ou le dernier en date, l’Empire scientifique qui s’empare de nos corps comme de textes morcelables. [...]

Et on s’égaye de ces nouvelles possibilités, tout trouvera sa place dans la vitrine du « c’est mon choix », ce supermarché des idées : vendre son cerveau-travail à un Manager, ou son vagin-travail sur le net, ou encore écarter ses jambes devant la science, qui a fait de la peur du manque d’enfant un marché sans fin, encore et encore du ventre, merveilleux marché autour des femmes, blanches (au sens politique), bien entendu. Aux Autres, non-blanches, la même science propose la stérilisation, voire le féminicide en Inde ou en Chine. [...]

Voilà, entre autres, le grand retour pétainiste à la valeur maternité, avec ces innombrables interviews de stars se terminant par : mon plus beau rôle, c’est maman. Comme pour se faire pardonner de la place arrachée socialement aux hommes, et toujours revenir à leur ventre, ce passeport pour la norme. On est passées d’« un enfant si je veux » dans les années 70, à « un enfant est mon plus beau rôle », et tout ça s’accommode très bien de « un enfant à tout prix ». Ou comment les partisans de la technologie du ventre des femmes rejoignent l’instrumentalisation et la glorification du ventre maternant. »

 

ciso.jpg

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20 octobre 2010 3 20 /10 /octobre /2010 11:20

  A la fin d'un précédent article sur un extrait de Nicole-Claude Mathieu, je posais cette question existentielle, profonde et subtile : le désir d'enfant chez une femme sert-il nécessairement la domination masculine ?

Je pensais n'avoir pas les armes et n'être pas d'humeur pour affronter ne serait-ce qu'un cheveu de cette question – me vient pourtant aujourd'hui l'envie d'écrire ceci.

 

Il me semble indéniable que la production d'enfants, dans la France contemporaine (par exemple), dessert objectivement les femmes et sert objectivement les hommes (ou la domination masculine, comme on voudra le dire). Les effets du fait d'avoir un enfant pour une femme, dans les deux domaines que sont la charge de travail domestique et la carrière professionnelle (y compris exprimée en termes de revenus), sont indéniables. Avoir un enfant signifie pour une femme multiplier le temps consacré aux tâches domestiques, accroître la charge mentale correspondante, et creuser le déséquilibre entre charges féminines et charges masculines au sein du couple. Cela signifie également diminuer ses chances de faire carrière, c'est-à-dire à la fois ses chances d'accéder à certains postes, mais aussi, clairement, ses chances de gagner plus – ou dit autrement : en ayant un (des) enfant.s, elle a toutes les chances d'être plus pauvre (et ce toute sa vie, comme la référence de Plume à la réforme des retraites l'a bien rappelé). D'un point de vue macrosociologique, d'un point de vue global, la production d'enfants est bien l'un des vecteurs qui maintient les femmes en situation subordonnée.

Ce constat une fois posé, deux questions se posent à moi.

 

Un - Que se passe-t-il quand on passe du plan macro au plan micro ? Que devient cette question quand on la pose au niveau non plus d'une société, mais d'une individue ? Quelle gueule a la balance, quand on y pèse les « avantages » et les « inconvénients », pour une femme, d'avoir un / des enfants ?

Il faudra entasser, sur le plateau des bénéfices, l'ensemble des gratifications émotionnelles et affectives : les petits sourires, les cris d'amour, la dépendance du bébé-être, le fait de trouver que c'est une jolie chose bien finie et qu'on a bien travaillé (le plaisir du travail bien fait... ;p), puis tous les agréments qu'on peut trouver dans la ressource comique d'un.e gamin.e, qui met de la vie comme la Badoit... etc.

Mais aussi (peut-être surtout) les gratifications que l'enfant apporte de façon indirecte, c'est-à-dire non pas par ce qu'il est et ce qu'il fait, mais par le fait qu'il existe – que la femme s'est transformée en femme-qui-a-des-enfants.

La question que je me pose (ou plutôt qui se pose à moi...) est alors la suivante : est-il possible (et dans quelles conditions) que la plus grande liberté (au sens large) que procure le fait d'être sans-enfant pour une femme ne soit pas entamée par la blessure qu'inflige au quotidien le fait d'exister socialement en tant que femme-sans-enfant ?

Cette « blessure » qui constitue le revers des gratifications indirectes. Le mot est mal choisi, plutôt qu'une jolie plaie aux bords lisses et roses, ça ressemblerait plus à un mal de ventre, du genre intestinal, un peu honteux, et vaguement sale.

 

Deux - Est-il possible de mettre au monde un enfant dans un couple et de l'élever d'une manière qui soit féministe (pour l'enfant, mais aussi et surtout pour le couple, et pour celle qui l'a fait naître) ? (une sorte d'expérience féministe concrète...)

 

Un soir il y a quelques semaines, alors que je traînais ma savate dans les couloirs du métro, ramenant ma carcasse à domicile après une journée de labeur, et comme mon cerveau tournait en roue libre, comme souvent dans le métro – j'ai réalisé quelque chose qui m'a saisie.

Il m'est apparu très clairement qu'être en couple lesbien aurait pu m'épargner ce poids, le poids de la question de l'enfant. [J'avais déjà éprouvé l'envie d'être déjà-vieille.] A cet instant, j'aurais voulu, de toutes mes forces, être en couple avec une fille pour lui déléguer cette tâche asphyxiante de fabriquer, porter et faire naître un bébé-humain. Mon cerveau ne s'est pas arrêté là, il m'a visualisée non seulement lesbienne, mais butch, afin d'effacer toute ambiguïté, quant à qui devrait se coltiner à ce boulot – aux yeux du monde. Que les signes montrent clairement à qui adresser la demande – et que ce ne soit pas moi. Je me suis sentie tellement libre, à la pensée toute imaginaire de ce moi virtuel, à qui plus personne ne pourrait adresser ce genre de requête silencieuse. Puis mon cerveau a sauté un peu plus loin sur cette idée, sur cette image : moi en homme. Un homme de 32 ans, qui pourrait être célibataire, pourquoi pas, sans que cela n'engage ce regard, ce poids, cette sourde violence. Célibataire sans enfant, sa vie qui peut tenir toute seule, être vivant, qui n'a pas forcément besoin de but.

 

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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 08:02

  L'essai de Judith Butler est militant. Elle s'engage. Son but, en l'écrivant, était de travailler à rendre le monde davantage vivable. Ouvrir des possibles. « Je n'ai pas écrit sur ce processus de dénaturalisation pour le simple plaisir de jouer avec la langue ou pour nous obliger à jouer aux marionnettes au lieu d'affronter la « vraie » politique. […] Je l'ai fait par désir de vivre, de rendre la vie possible et de repenser le possible en tant que tel. » (p.43)

Elle porte donc dans Trouble dans le genre des jugements moraux – elle juge qu'il est bien, ou mal d'agir de telle ou telle sorte : mal de renforcer les normes de genre et de sexualité, qui oppriment et empêchent de vivre certaines personnes, bien de les fragiliser, les faire céder, pour que cesse le rejet d'hommes et de femmes hors de l'humanité.

 

Le propos de Détrez et Simon dans A leur corps défendant a lui aussi une résonance morale : elles aussi se positionnent comme féministes, engagées, et prennent parti pour une plus large ouverture des possibles (ou en tout cas pour une moindre emprise de l'ordre moral et une émancipation des femmes).

C'est depuis ce point de vue engagé que les deux chercheuses prononcent leur jugement contre une bonne partie des écrivaines francophones contemporaines, et en particulier (c'est ce qui nous intéresse – heu, m'intéresse depuis quelques posts...) contre le roman d'Anne Garréta, Pas un jour.

 

Le chapitre dans lequel s'inscrit l'analyse de Pas un jour traite du corps, et s'intitule « les contraintes de la libération corporelle » (pp.25-47). Il y est plus proprement question de sexualité (ainsi les quatre sous-parties du chapitre ont pour titres : « sexualité : une libération illusoire », « petit kamasutra littéraire », « le retour du refoulé ? » et « du « joui-dire » au sexploit » : du plaisir verbalisé au devoir de performance »). « Les auteures de notre corpus », écrivent Simon et Détrez, « revendiquent le droit au plaisir, mais en décrivent également la « mécanique » » (p.27).

L'examen du livre de Garréta apparaît dans la plus longue des quatre sous-parties, « le retour du refoulé ? », qui s'étend sur 12 pages (pp.30-42). (C'est en fait sur cette unique sous-partie que se sont concentrées presque toutes mes remarques et mes interrogations...)

 

Dans ces douze pages, donc, Détrez et Simon cherchent à démontrer que les livres de leur corpus, qui traitent ouvertement de sexualité, ne remettent pas en cause les normes en matière de sexualité. On l'a vu, leurs arguments sont assez étranges et m'ont peu convaincue (accusations de préciosité et d'euphémisme, ton érotiquement correct, et surtout décalques au féminin de clichés masculins).

 

[On peut noter une critique qui sort du rang, p.31 : Détrez et Simon reprochent à Anne Cécile un « exotisme de pacotille » (et de citer un extrait de « Bleu ou la piscine », dans lequel les « moiteurs tropicales », « les contrées exotiques », la « moustiquaire » et le « feulement des panthères » plantent effectivement un décor orientalisant du plus mauvais goût). Mais ici, c'est de flirt avec les clichés racistes que l'on peut accuser la romancière... Peut-on dire que cette imagerie raciste s'inscrit dans un univers érotique masculin ? Détrez et Simon attendraient-elles des auteures femmes qu'elles rompent avec la culture raciste parce que ce sont des femmes ? Là encore, je ne comprends pas.]

 

Bref, revenons à nos brebis.

Détrez et Simon parlent des femmes qui parlent de sexualité. Et quand elles en arrivent à Anne Garréta, elles parlent de genre. (Il n'a pas été question de normes de genre depuis le début de la sous-partie.) Elles décrivent le genre de la narratrice de Pas un jour, qu'elles qualifient de masculin.

Elles font une brève allusion à la façon dont Garréta écrit la sexualité, mais sans donner aucune prise à l'analyse, sans nous donner rien à manger pour penser.

En résumé, Détrez et Simon :

1. font une critique en règle du genre (diagnostiqué masculin caricatural) de la narratrice du roman,

2. énoncent que cette narratrice fait du sexe comme un homme (« selon les termes d'une masculinité réifiée et naturalisée par quelques millénaires de culture occidentale » (rien que ça !!) (p.34)), mais sans nous donner aucune explication (alors que justement, c'est ce qui nous intéresse au plus haut point....)

3. concluent (hop hop) par la citation de Butler et ferment le dossier.


Voilà la fameuse citation de Butler :

« Il me semble toutefois important de reconnaître que la performance que constitue la subversion du genre ne dukes-encore.jpgrenseigne pas nécessairement sur la sexualité ni sur la pratique sexuelle. On peut jouer sur l'ambiguïté au niveau du genre sans pour autant jeter le trouble dans la norme en matière de sexualité ni la réorienter. Parfois, l'ambiguïté au niveau du genre permet précisément de contenir ou de contourner la pratique sexuelle qui n'est pas « normale » et par là d'œuvrer à maintenir telle quelle la sexualité « normale ». Impossible donc d'établir une corrélation entre les pratiques drag ou transgenres, par exemple, et les pratiques sexuelles. Il n'est guère plus facile de cartographier la sexualité à l'aide des préfixes hétéro-, bi-, et homo- compte tenu du caractère mouvant et changeant du genre. » (pp.34-35)

(En italique, la phrase que retiennent Simon et Détrez.)

 

Butler démontre que certains types de pratiques sexuelles ont le pouvoir de déstabiliser les normes de genre, et inversement ; elle n'affirme pas du tout néanmoins que certaines sexualités produisent certains types de genres (ni l'inverse). Elle examine les liens entre sexualité et genre, on l'a vu, mais n'établit pas de relations stables et systématiques entre telle configuration de genre et telle pratique sexuelle.

Ce qu'elle dit dans ce passage, en gros, c'est que tout ça comprend une part d'imprévisible, d'improvisation, de vivant, d'historique ; le genre est « changeant » et « mouvant ». De la même façon, on ne peut pas établir une fois pour toutes que telle performance de genre est et restera subversive, tandis qu'une autre sera normative.

Ainsi, si genre et sexualité sont liées, et bien que les normes de genre soient confortées par la sexualité dite « normale », on peut performer un genre ambigu, un genre lesbien masculin par exemple, comme la narratrice de Garréta, et ne pas ébranler du tout les normes de sexualité. C'est tout à fait possible.

« Parfois », écrit Butler, « l'ambiguïté au niveau du genre permet précisément de contenir ou de contourner la pratique sexuelle qui n'est pas « normale » [la sexualité lesbienne] et par là d'œuvrer à maintenir telle quelle la sexualité « normale » [la sexualité hétérosexuelle] » : ce que suggèrent Détrez et Simon, c'est que via sa performance de genre masculin, le personnage de Garréta contourne la sexualité lesbienne, car bien que couchant avec des femmes, elle fait l'homme, et conforte la sexualité hétérosexuelle.

 

Deux réponses :

 

1. Supposons d'abord que l'on se rallie à l'opinion des deux chercheuses : la narratrice n'ébranle pas les normes de sexualité. Mais Butler ne dit pas qu'elle n'ébranle pas les normes de genre. Elle dit même le contraire. Si la phrase de Butler s'applique ici, alors le genre du personnage de Garréta est reconnu comme ambigu : faute de jeter le trouble dans la sexualité, cette femme déstabilise bien les frontières du genre. (Ce que nient Détrez et Simon, qui jugent qu'elle se fourvoie sur les deux tableaux, la sexualité et le genre).

 

gazonm.jpg2. Un petit détour par la troisième partie de Trouble dans le genre nous éclaire sur la conception de Butler du jeu érotique butch/fem, et des liens entre sexualité et genre lesbien masculin.

« Dans les communautés lesbiennes, l' « identification » avec le masculin de l'identité butch n'est pas une simple assimilation du lesbianisme à l'hétérosexualité. […] l'objet (et il n'y en a clairement pas qu'un seul) du désir lesbien fem n'est ni un corps féminin hors de tout contexte ni une identité masculine distincte et pourtant superposée à ce même corps. C'est la déstabilisation du rapport entre le corps et l'identité, le féminin et le masculin qui devient érotique. […] L'idée que la butch et la fem seraient des « répliques » ou des « copies » conformes de l'échange hétérosexuel sous-estime la charge érotique de ces identités : celles-ci resignifient les catégories dominantes qui les rendent possibles en y introduisant de la dissonance et de la complexité. » (pp.240-241)

 

Voilà pour le deuxième round du match .

Je ne pense pas avoir été super claire, mais j'ai fait ce que j'ai pu !!!

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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 15:10

Je commence par poser un peu le cadre de la citation de Butler qu'utilisent Détrez et Simon ; dans le post suivant, je me concentrerai sur cette citation...

 

Ce qu'on a coutume d'appeler la seconde vague du féminisme (qui prend son essor à la fin des années 1960) met le corps et la sexualité au cœur de ses questionnements. Eric Fassin écrit dans sa préface à Trouble dans le genre : « Aux États-Unis, le féminisme libéral des années 1960 se donnait pour objectif premier d'arracher les femmes à la sphère privée, pour leur donner accès à l'espace public. Aussi la sexualité n'avait-elle pas sa place dans le programme politique d'une Betty Friedan : les séductions du plaisir ne pouvaient que distraire les femmes de leurs légitimes ambitions professionnelles. En revanche, le radicalisme des années 1970 allait placer la sexualité au cœur du projet féministe : c'est alors tout à la fois le moteur de la libération et l'instrument de la domination » (Trouble dans le genre, pp.10-11).

Deux décennies plus tard, cette centralité de la sexualité dans la réflexion féministe a des répercussions sur la façon dont le genre est envisagé. Dans le livre de Judith Butler, le concept de genre n'est plus pensé dans ses rapports avec le sexe, mais en lien avec la sexualité.

 

Le concept de genre a historiquement été construit dans une opposition au sexe. Pour le psychanalyste américain Robert Stoller (1925-1992) comme, ensuite, pour la sociologue britannique Ann Oakley, le genre est au sexe ce que la culture est à la nature : le sexe est biologique, le genre est psychologique et social. Dans un deuxième temps, le genre est envisagé comme l'un des discours du pouvoir (« une façon première de signifier des rapports de pouvoir », écrit Joan W. Scott en 1986), et le sexe lui-même se voit dénaturalisé, il est démasqué comme construit, car « le pouvoir ne s'arrête pas aux portes de la biologie » (E. Fassin, « Le genre aux États-Unis » p.32). Des historien.ne.s des sciences (Thomas Laqueur, Donna Haraway), des anthropologues de la reproduction (Rayna Rapp), des scientifiques (Evelyn Fox Keller, Cynthia Kraus) contribuent à ce mouvement de dénaturalisation du sexe.

« Cette dénaturalisation s'accompagne d'un déplacement du genre, qui prend sens désormais, non plus par contraste avec le sexe, mais dans son articulation avec la sexualité », écrit Fassin dans sa préface à Butler (p.10).

 

butler.jpgLes liens (complexes, contradictoires, multiples) entre le genre et la sexualité sont au centre de Trouble dans le genre. Je cite à nouveau Eric Fassin parce que j'aurais le plus grand mal à dire mieux et plus clairement ce qu'il dit (ouais ouais, je sais, je pille... mais je suis sûre que si je lui demandais gentiment il accepterait avec plaisir de me prêter un morceau de son intelligence et de la clarté de son esprit cristallin... ) : « Judith Butler se place en fait, depuis Trouble dans le genre, à l'articulation problématique, toujours précaire et jamais assurée, entre genre et sexualité : c'est le jeu du raccordement imparfait entre ces deux plaques tectoniques de la norme qui agite sa réflexion. […] La sexualité est liée au genre, car les normes de genre traversent la sexualité. Pour autant, elle n'est pas simplement la confirmation du genre : loin de l'affermir, elle peut l'ébranler en retour. […] c'est lorsque s'entrechoquent genre et sexualité que naît le trouble du genre. » (pp.12-13).

 

Trouble dans le genre paraît au États-Unis en 1990. Près de dix ans après, le livre est réédité avec une nouvelle introduction qui s'étend sur 25 pages, et dans laquelle Judith Butler revient sur les thèmes développés dans le corps du livre, et sur les objectifs qu'elle poursuivait en l'écrivant.

Dans cette introduction de 1999, elle insiste sur l'importance des liens entre genre et sexualité. « Comment », écrit-elle, « les pratiques sexuelles qui ne sont pas « normales » mettent-elles en question la stabilité du genre comme catégorie d'analyse ? Comment certaines pratiques sexuelles nous forcent-elles à nous interroger sur ce qu'est une femme, un homme ? » (p.30).

 

L'idée de l'importance de penser ensemble genre et sexualité lui est venue, nous dit-elle, de sa lecture des textes de Gayle Rubin. On pourrait sans doute ajouter ceux de Monique Wittig, quand elle écrit, en particulier, que les lesbiennes ne sont pas des femmes. Rubin et Wittig explicitent toutes deux la façon dont une norme de sexualité, l'hétérosexualité obligatoire, vient conforter une norme de genre. « De ce point de vue, et pour le dire vite, on est femme si l'on fonctionne comme telle au sein du cadre hétérosexuel dominant » (p.31). Si l'on quitte ou si l'on refuse d'occuper cette place au sein du système hétérosexuel, pour Monique Wittig, on n'est plus ou pas une femme, et pour Butler, « mettre ce cadre en question [revient] peut-être à perdre quelque chose d'aussi fondamental que l'impression d'avoir sa place dans le système de genre. […] Cette expression [« trouble dans le genre »] traduit le souci de mieux comprendre la terreur et l'angoisse de « devenir gai ou lesbienne » qui font souffrir certaines personnes, la peur de perdre sa place dans le système de genre ou de ne pas savoir qui l'on devient si l'on couche avec quelqu'un qui est apparemment du « même » genre. » (p.31)

 

Les réflexions de Judith Butler dans cet essai s'articulent donc autour de ces questions : comment la régulation du genre par la sexualité fonctionne-t-elle ? Dans quelles conditions et comment certaines pratiques sexuelles peuvent-t-elles ébranler certaines normes de genre ? Quand et comment, en retour, certaines formes d'expressions genrées peuvent-elles maintenir ou au contraire déstabiliser l'ordre hétérosexuel ? Comment s'emboîtent (ou pas) les normes de genre et de sexualité ?

 

[ N'hésitez pas à me corriger si vous pensez que je déforme la pensée de Butler... ]

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14 octobre 2010 4 14 /10 /octobre /2010 12:09

  « On peut jouer sur l'ambiguïté au niveau du genre sans pour autant jeter le trouble dans la norme en matière de sexualité ni la réorienter », écrit Judith Butler dans l'introduction de 1999 à Trouble dans le genre (p.34).


Anne Simon et Christine Détrez s'appuient sur cette citation pour neutraliser l'éventuelle portée subversive du roman d'Anne Garréta Pas un jour. Selon elles, dans cette création littéraire, Garréta joue certes sur l'ambiguïté au niveau du genre, mais ce jeu, loin de déstabiliser la norme, aboutit au final à la renforcer.

On n'assiste selon elles qu'à une assimilation par un personnage « apparaissant anatomiquement féminin » (p.35) d'un rôle masculin figé, caricatural, stéréotypé. Le durcissement de la norme de genre et de sexualité est accentué par le fait que ce personnage « se défini[ssant] comme relevant du « masculin », tant dans ses habitudes sociales que dans sa sexualité » (p.35) est une lesbienne : une femme qui aime les femmes se fond dans le rôle de l'homme, se calquant ainsi sur le modèle hétérosexuel le plus normatif. Ainsi, la question qu'elles posent en haut de la page 36 semble purement rhétorique, et tranchée par la citation de Judith Butler qui suit directement : [l'oeuvre d'Anne Garréta] « renforce-t-elle le figement des positions de genre, du fait de l'incorporation, par une femme aimant les femmes, d'une masculinité relevant de la caricature virile ? » (p.36)

  duel.jpg

 

On peut lire ici un assez long extrait du roman « Pas un jour », qui permet de se faire une petite idée de sa teneur. Nulle caricature dans ce texte à mon sens.

 

Le propos de Détrez et Simon est ambigu car on ne sait trop si l'essentiel de la critique porte sur l'aspect « caricature » et « stéréotype » (de l'homme comme « adepte des bars et du cognac, des pompes et des katas, des voitures et de la menuiserie » (p.34), de la femme comme « pur objet du désir » (p.34)), ou sur cet accaparement par un personnage lesbien des habitudes sociales et de la sexualité traditionnellement dévolues aux hommes.

 

A réfléchir plus avant sur la situation romanesque créée par Garréta et sur la phrase de Butler, à écrire tout ceci, une idée plus claire m'est venue, sur le rapprochement opéré par Détrez et Simon. Et si je ne savais qu'en penser il y a encore quelques heures, à présent il me semble que les auteures d'A leur corps défendant se trompent en convoquant ici Judith Butler. Il me semble que non, elle n'a pas voulu dire cela dans cette introduction de 1999. Non, elle n'aurait pas porté ce jugement sur le roman d'Anne Garréta.

Non, elle devait songer à autre chose.

Ce n'est pas ça.

Je m'en vais tenter de vous expliquer ça dans le post suivant...

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12 octobre 2010 2 12 /10 /octobre /2010 12:00

Pour éclairer un peu mes courtes réflexions sur Anne Garréta, sa lecture à la lumière de Judith Butler et son interprétation par Anne Simon et Christine Détrez, je me permets de poster ici quelques extraits d'une interview de la romancière mené le 13 octobre 2000 par Eva Domeneghini, toujours consultable en ligne, et vraiment intéressante (j'espère que l'intervieweuse ne m'en voudra pas ).

 

garreta.JPGA propos de son roman Sphinx :

 

« Je me suis arrangée pour écrire une histoire dans laquelle la question de l’identité sexuelle et donc de la différence des sexes n’est nullement marquée dans le langage du texte. Le langage (et le langage le plus ordinaire) permet ceci, si on sait s’en servir. Cela demande un peu de travail mais on peut y arriver. L'expérience prend son sens lorsqu'on fait lire le texte. Le résultat intéressant du test (qui n'est au fond qu'un test de Turing), est que d’abord les gens ne remarquent pas l’absence des marques du genre. Il les projettent systématiquement, comme si pour lire une histoire, en effet, il leur était nécessaire d’attribuer une identité sexuelle aux personnages (bref, l'identité sexuelle, le genre des personnes est une catégorie commune de leur entendement, et une catégorie prégnante --mais, et j'insiste, pas nécessaire, ni naturellement, ni socialement, ni discursivement : la preuve, on peut l'éluder sans qu'elle manque, on peut l'éluder et continuer à raconter des histoires). Second résultat: il n’y a pas d’uniformité dans les projections, les lecteurs n’ont pas tous lu la même histoire mais les quatre possibilités ont été systématiquement représentées dans la réception critique du livre (une histoire entre un homme et une femme ou entre deux hommes ou deux femmes). Ce qui tendrait à indiquer qu’à l’ère qui est la nôtre, en dehors des marques institutionnelles du genre grammatical, ou alors en dehors des injonctions qui assignent telle personne à telle identité, rien ne permet de reconnaître, dans une histoire, un homme d’une femme. C’est ça le jeu dangereux. Faire la preuve empirique, expérimentale, non seulement de la contingence du genre, mais de son inanité ou de son insignifiance comme catégorie. »

 

A propos du féminisme :


« Je suis très heureuse de découvrir que quelqu’un me trouve féministe et en effet, je le suis. […] “Féminisme borné”, pour certains on dirait que l'expression est un pléonasme... […] Vous savez ce que j'apprécie dans le féminisme ? Sa capacité, rien qu'à l'invocation du mot à créer une telle panique… Même les femmes de nos jours ont peur de passer pour féministes, et de se dire telles… Quant aux hommes, ils en font figure de guignol et d'épouvantail pour mieux s'en défendre… On ne peut pas dire que le courage étouffe les pantins qui s'agitent sur la scène française… »

 

A propos des « caricatures » de genre :


« Cela ne me dérangerait pas que la sexualité transparaisse dans la littérature (le problème c'est que je ne me reconnais dans aucune des représentations courantes qui en sont données), mais ce qui me gêne c’est la caricature de féminité ou de masculinité qui transparaît dans les écritures qui mettent en avant ce type de détermination. Ce qui est plus gênant encore, c'est le caractère hégémonique, totalisant de cette sexuation : elle écrase les différences entre les sujets, elle écrase les singularités, et par ailleurs somme chacun de représenter en tous lieux de sa vie et de sa personne les caractères de son sexe comme détermination absolue. Simplification bien commode dans l'ordonnancement social, certes, mais sommes-nous là pour simplifier le travail de la morne machine à normaliser ? […] Il faudrait avoir de l’imagination, sortir des bornes non du féminisme mais du sexisme et se poser la question de ce qui se passe dans l’écriture d’un sujet qui n’est jamais un, unique ou unifié mais multiple, changeant, contradictoire et qui évolue nécessairement au cours du temps. »

 

J'avoue avoir du mal, en lisant ces propos, à croire aux accusations de Détrez et Simon à propos du « figement des positions de genre » (A leur corps défendant, p.36)...

 

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Chez la méduse. Glânez comme bon vous semblera.
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