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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 21:58

 

C'est bizarre, quand j'ai lu ce chapitre de Despentes, sur son expérience de la prostitution, une question ne me quittait pas, s'affichait en surimpression sur chaque paragraphe que je lisais : est-ce que j'en serais capable ?

Ma réponse était plutôt non.

 

Ça me rappelle une discussion avec un ami, au sujet de cette affaire d'annonce de job sexuel diffusée par Pôle Emploi. En quoi cela doit-il être considéré comme affreusement scandaleux ? On en était venus à évoquer cette différence entre les personnes, qui fait que certaines sont capables de bosser avec leur corps sexualisé et avec leur sexe (et parmi ces personnes certaines peuvent tout à fait le choisir, dans un contexte de contrainte relative (merde sociale et économique, pas d'accès à des boulots bien payés et épanouissants (car pas de diplôme, et / ou discrimination, etc.)), et que d'autres en sont incapables. A cause de leur socialisation, la façon dont elles se sont construites, à cause de ce rapport à leur corps (/ à leur sexualité, / aux corps des autres) qu'elles ont construit. (Et contraindre ces personnes-là à faire ce genre de boulots (sous peine d'être radiées de l'ANPE), c'est leur faire une violence extraordinaire.)

 

Je ne me suis jamais sentie puissante parce que je mettais une mini-jupe. Je me suis plutôt sentie empêchée. Empêchée d'abord dans mon corps (tant de mouvements te sont interdits), empêchée ensuite par ces regards, exposée, agressée. (Il me semble. Je reconstruis peut-être un peu ? Depuis ma position de maintenant ? Peut-être. Pas complètement ça j'en suis sûre.) (Quant à dire si le port de talons aiguilles eût jamais pu me donner un sentiment de pouvoir, ça... je saurais sans doute jamais...)

 

Mais au-delà de ça : je pense que je serais incapable de sortir dans la rue fringuée comme l'était Virginie Despentes, customisée en jouet sexuel géant.

 

Quand j'essaie de me représenter cette expérience, virtuellement, ce n'est pas un sentiment de pouvoir que je m'imagine ressentir, mais un sentiment de peur. De danger.

C'est vraiment étrange, je me vois comme ça, en mini-jupe talons aiguilles – et je m'imagine forcément raidie, plombée, les larmes au bord des yeux.

Ce serait un véritable supplice de m'obliger à sortir comme ça.

 

Pourquoi une femme peut-elle sexualiser à fond son corps dans l'espace public, et en retirer un sentiment de pouvoir extrême, et une autre ne le faire qu'aux prix d'un sentiment de vulnérabilité totale ?

 

                                                           * * * * * *

 

 

La question de la présentation de soi, et en particulier de la présentation de soi dans l'espace public – au premier chef la question des vêtements – me semble super intéressante. Se sentir bien dans tels vêtements, mal dans tels autres. Pourquoi ?

(Ça me scotche qu'une personne habituée à l'invisibilité dans l'espace public - « cheveux courts et baskets sales » - puisse se métamorphoser en bombe sexuelle comme l'a fait V. Despentes.)

 

Deux questions se mêlent ici pour moi : celle de la sexualisation des corps, dans les deux sens de « sexe », et celle de la visibilité.

Despentes, quand elle est sortie dans la rue ce jour-là habillée comme une bombasse, était à la fois très féminine (alors qu'auparavant, raconte-t-elle, on pouvait lui dire « monsieur » quand elle allait acheter ses clopes au tabac), très sexualisée (déclenchant un désir furieux d'accéder à son corps), et très visible (être « incroyablement présente », attirer le regard de façon presque hypnotique).

Et là dedans... d'où vient le pouvoir ?


Peut-être le pouvoir qu'elle évoque dans ces pages résultait-il tout autant de son costume de bombasse que de la façon dont elle l'habitait. Peut-être, finalement, a-t-elle réussi ce jour-là une formidable performance de genre : elle a joué ce rôle d'une façon grandiose.

(Peut-être, finalement, « se sentir bien dans telles fringues », c'est juste trouver le bon costume, dans lequel on parvient à réussir une belle performancequ'on habite avec aisance, grâce, naturel ?)

Peut-être que si je sortais dans les fringues qu'elle a mises ce jour-là, moi, non seulement je ne ressentirai aucun sentiment de pouvoir – mais peut-être même que j'en aurais pas, du pouvoir, tellement j'aurais l'air déguisée pour le carnaval. Je sais pas.

 

                                                                    * * *

 

Après cette petite parenthèse passionnante (si si), dans le post suivant je vous cause des attributs traditionnels de la féminité et de leur rapport au féminisme (enfin, j'essaie ).

 

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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 21:49

  Je reviens, sept mois après ce dernier article.

Enfin, la méduse revient... avec ses petits filaments tout poisseux


Voilà, j'ai disparu tout ce temps, parce qu'un petit phénomène – matériel météorologique et événementiel – a mangé tout mon temps, ou presque. C'est marrant, parce que le dernier article posté ici l'a été le 27 juin 2011, et c'est le hasard, en fait - mais c'est très exactement ce jour-là que le phénomène a débarqué, à 16h59.


J'ai décidé de faire une chose que je ne fais pas d'habitude sur la méduse : raconter ma vie.

Je n'ai pas ouvert la méduse pour ça, et je ne le ferai plus ensuite.

Seulement, là, une fois, après ce trou de sept mois qui est déjà une anormalité sur le mollusque, j'ai comme envie de déballer, dans ce grand article qui promet d'être sacrément désordonné, déballer les choses – petites grandes tordues douloureuses fraîches ou intestines – toutes ces choses, ces pensées, ces épreuves, qui me sont venues.

Pour en quelque sorte rendre raison de ce trou de sept mois.


Et aussi parce que bon, comme a dit un jour une bloggeuse de mes amies – ton blog, c'est chez toi hein, tu peux y coller ce que tu veux... Alors raconter sa vie ma foi, pourquoi pas, si ça nous chante. Et alors.


Non seulement je vais raconter ma vie, mais en plus, je vais le faire n'importe comment, voilà – en gros blocs de textes pas articulés, en fleuve, en logorrhée, en chantier, en pas fini, en qui mène nulle part. Tant pis.

 

 

* * * * * * *

 

Je n'ai pas lu de littérature sur ce thème (faire / avoir un enfant, être parente), il doit assurément y en avoir un bon monticule – et des choses à méditer. Si - j'ai tout de même lu la Femme gelée d'Annie Ernaux – ça mériterait un petit article, tiens, en plus de celui-là – le faire-des-enfants dans la vie d'Ernaux (ou de sa narratrice)...

 

J'ai aimé lire cet article récent de Mona Chollet sur le film « 17 filles » :

 

[ « On reste néanmoins perplexe : subversive, la maternité ? Si 17 filles peut défendre cette thèse, c’est que, en tant que film français de bon goût, il évacue résolument toute la culture populaire dont notre monde est baigné ; c’est-à-dire la culture où apparaît de façon flagrante la survalorisation de la maternité, pour ne pas dire sa valorisation exclusive, qui reste aujourd’hui dominante dans de larges pans de la société. » […] « lorsque tout votre environnement culturel vous martèle que le rôle de mère est « le plus beau » qu’une femme puisse endosser - non pas un beau rôle parmi d’autres, mais le plus beau -, il y a une certaine logique à vouloir zapper les autres étapes. Autant accéder tout de suite à ce statut censé vous apporter toute la considération que vous pouvez espérer et mettre un peu de sel et d’action dans votre existence, en vous dispensant de les chercher ailleurs - ou aussi ailleurs. »]

 

Dans le film Les témoins d'André Téchiné, Emmanuelle Béart interprète une femme qui laisse pleurer son bébé pendant des heures en se mettant des boules Quiès pour pouvoir travailler, et qui dit ensuite au père de l'enfant qu'elle ne doit pas être faite pour être mère, qu'elle ne pouvait pas le savoir avant de le devenir, mais que se transformer en baleine pendant neuf mois puis ne plus dormir de la nuit pendant les mois qui suivent c'est vraiment pas son truc – j'ai beaucoup aimé cette facette du personnage qu'elle incarne, d'une part parce que l'on voit rarement de telles scènes au cinéma, d'autre part parce que ce qui pourrait être taxé de comportement de « mauvaise mère » n'est pas au centre du récit, n'est pas réellement traité comme un problème, ça se passe comme ça, et puis c'est tout, puis c'est pas si grave, puis le bébé n'en meurt pas, ni n'en devient psychopathe ou autiste – juste Béart rame et gueule - voilà.

 

J'aime beaucoup cet article de Clémentine Autain sur son blog – pas révolutionnaire, mais carré, clair, et juste, je trouve.

 

Puis cet article (qui n'est plus en libre accès...) de Virginie Descoutures sur SciencesHumaines.com, super intéressant, sur « le quotidien des mères lesbiennes » : où l'on apprend que la figure du père, et la référence à la « vraie » famille, reste très prégnante (« un papa c'est important », il faut savoir « d'où l'on vient »), que les mères non biologiques, « moins femmes que les vraies femmes parce qu’homosexuelles, moins mères que les vraies mères parce que sans lien biologique avec leur enfant et sans statut juridique pour pallier cette carence, [...] risquent de voir leurs compétences parentales sans cesse remises en cause », et que les tâches domestiques sont le plus souvent inégalement réparties entre les deux mères. L'auteure conclut qu'« une action sur les normes s’opère [...] du seul fait que l’existence de ces familles introduit dans les relations qu’elles engagent au quotidien avec le reste de la société une redéfinition des possibles. »

 

* * *

 

Je sais qu'une grossesse peut être physiquement vécue comme un effroyable empèsement - comme si on t'engluait dans quatre tonnes de goudron-béton, qui t'écrasent et te figent ; tout devient lourd, lent, pénible, fatigant. Moi perso j'avais plutôt l'impression de couver une bulle d'air, vaguement volumineuse, un peu fragile.


J'ai pu expérimenter les mille signes de la valorisation sociale de la grossesse et de la maternité. Ébahie et dérangée par ce mot (passe-partout) qu'on m'a répété pendant des mois : félicitations. Mais félicitations pour quoi ? (« Et les autres... je ne vous dis pas bravo ! » )


Je sais qu'un accouchement peut être une grosse épreuve de trash et de sang ; je trouve ce récit d'Agnès Maillard effrayant et précieux - il dit toute l'infinie violence que peut constituer un accouchement médicalisé.

 
(extraits)

"Mon corps ne m'appartient plus, il est une extension anonyme du grand corps médical tout puissant. […]
La salle de travail est purement fonctionnelle et pensée pour faciliter le travail du plateau technique. Nous y sommes des intrus. C'est un hall de gare dont les portes battantes laissent parfois passer une petite foule en blouse de couleur qui vient s'informer sans aucune forme de civilité de l'état de ma dilatation et qui commente cette violation de ma chair intime avec la même indifférence que si j'étais un objet. […]
Mon corps entier vibre d'indignation contre le traitement qui lui est infligé. […]
Je suis en train de m'éloigner de toute cette souffrance et je ne me rends même plus compte que c'est moi qui suis en train de hurler comme une bête blessée. […]
J'ai seulement peur. Par flash confus, je me rends compte que je vais mourir. Je pousse, je pousse, à m'en déchirer les entrailles, mais il n'y a plus rien, plus de jus. Je crois bien que la sage-femme m'engueule. Puis, après un temps flou et indéterminé, je vois les bottes blanches de l'obstétricien emplir mon champ de vision. Ce sont les mêmes que celles que chaussent les ouvriers dans les abattoirs à canards. On a glissé un seau à la verticale de mes fesses pour y recueillir tous les fluides qui s'écoulent abondamment de moi. L'homme est en train de monter bruyamment une sorte de gros couvert à salade. Qu'il enfonce sans préavis dans mon sexe pour y chercher la tête de ma fille. J'ai l'impression d'être écartelée. Quelqu'un pose une petite chose vagissante sur ma poitrine lourde et tendue comme un tambour, mais mes bras sont tellement faibles que je n'arrive pas à la tenir. Je cherche du regard quelqu'un pour m'aider, mais déjà, tout le monde s'affaire sur autre chose. C'est finalement son père, pâle, ravagé, en état de choc, qui aura la présence d'esprit de me tenir le coude pour que je ne laisse pas échapper mon enfant par terre, du haut de mon étroit lit de souffrance. Je devrais être heureuse. J'ai juste froid et envie de pleurer. Voilà tout ce qui reste de ce qui aurait pourtant dû être le beau jour de notre vie."


De mon côté les médecins/doctoresses et tout le corps médical, je les ai vus et revus - j'ai dormi avec (quoi que pas dans le même lit)... Moi qui ne suis pas pote avec eux, pourtant : je ne l'ai pas mal vécu. Pourquoi ?

J'ai détesté les médecins pendant des années parce qu'ils me disaient mon anormalité, ils me jugeaient avec leurs airs condescendants, j'en avais peur, et en même je les haïssais, ils me dominaient - j'étais la petite chose révoltée dépenaillée et ridicule, avec qui ils avaient envie d'être gentils parfois (et d'autres fois ils s'en foutaient) ; j'étais l'échec répété, j'étais le cas pas grave mais atypique, la déformée. Plus tard j'allais les voir pour ma gorge ou mon mal de bide, et j'avais les mains moites dans la salle d'attente - qu'allaient-ils penser de ma maladie toute petite, ils allaient se foutre de moi, je n'aurais jamais dû venir, je n'avais pas assez mal c'est certain - le souci de mon bien-être était ridicule. ILLEGITIME.

Là (terrible de reconnaître et d'écrire ça) : j'avais RAISON d'être là, c'était BIEN : j'étais ENCEINTE. J'avais tous les droits d'aller voir les médecins, et en plus, ce n'était même pas pour moi. Fantastique cette légitimité d'être-au-monde qui te vient quand ce n'est plus pour toi, mais - comble du bon droit - pour un BEBE. Un ENFANT. (Protéger. Prendre soin. Prendre tous les soins. Les précautions.) (Tu deviens quelqu'un de bien en croûtant toute la journée dans un canapé - mais sans manger de chips, quand même.)


L'accouchement. Est-une expérience unique, magique ? pfff... non, c'est une expérience qui peut être vécue de douzaines de façons différentes... (comme tout ? certainement...) C'est un truc étrange comme un truc qu'on fait pour la première fois - comme d'aller pour la première fois dans un restaurant à nouilles (ça c'est pour le côté social du truc : les codes, les gens, les lieux, le mode d'emploi), ou comme la première fois de ta vie que tu vomis (pour le côté physiologique et sensuel - c'est vrai, la toute première fois, tu trouves ça étrange, non, comme expérience, vomir ??) Le côté "magique" provient exclusivement de la saturation de significations sociales et culturelles de ce fait – accoucher /faire-voir naître. [Des fois je me demande quelle est la différence entre "social" et "culturel", genre dans cette phrase, là.... Bon, tant pis.]

Bien sûr il y a des récits de ce fait/cette expérience dépouillés de toute magie (heureusement ils existent) : on l'on raconte qu'un truc vaguement dégueu, un petit tas de chair, rouge, sort de soi comme un étron.


Donc. Le sang les cris le trash, ou bien : cet être brun un peu mouillé qui sort de moi comme un petit suppositoire bien huilé, sans faire de bruit, doucement, presque (calmement) - après qu'on se soit bien bidonné avec la sage-femme et ses copines, parce que j'avais manqué de me péter la gueule de mon lit dans le bassin.


Bref. Pas d'expérience unificatrice vécue par la troupe de toutes ces femmes-qui-ont-accouché.


(J'écris quoi là au fait, avec mes histoires de diversité-de-l'expérience-vécue ?... Ah oui. L'idée, c'est ce truc du corps-vécu-mâle qui serait essentiellement différent du corps-vécu-femelle. Bon, j'y crois pas. Je ne crois pas qu'il y ait cette barrière, là, essentielle, radicale, objective, en soi... (je rajoute des adjectifs ou c'est bon ?) Et même pas entre les mâles et les femelles-ayant-accouché : pas d'expérience ultime de l'enfantement, irréductible, blablabla... Façon genrée d'habiter son corps, oui (bien sûr), dressage des corps. Donnée irréductible de la matière ? Je dirais que sans doute, davantage que le caractère sexué du corps, ce qui peut dresser non pas une barrière, une frontière, entre deux types de corps-vécus, mais ordonner une sorte de palette, un kaléidoscope, un herbier, .... ce serait d'une part la corpulence, d'autre part la maladie. (Bon, c'est mon opinion à moi que j'ai. D'autres propositions ?))

 

* * *


Évidemment élever cet enfant de façon féministe représente maintenant l'un des buts de ma vie........ Élever un enfant de façon féministe ; élever une fille de façon féministe. Ça creuse des tunnels dans ma tête.

Pour une part, c'est facile : les jouets, les vêtements, les discours explicites qu'on lui tient - fastoche. Restent deux grands océans : le monde (tout ce qui nous échappe, toutes ces petites mains connues et inconnues qui vont modeler sa tête de piaf), et puis, tout ce qui nous échappe à nous, dans notre propre comportement, dans nos paroles, dans ce qu'on est, dans notre organisation plus ou moins contrainte, dans les choix que l'on fait à moitié, dans toutes nos erreurs..... dans notre corps et notre cerveau dressés-genrés, parce que je suis bien un petit château de sable genré, parce que je suis imbibée, parce que j'essaie de m'essorer mais c'est pas simple....

 

Ne pas filliser ce bébé, zapper l'étape de l'étiquetage - que ça reste le plus longtemps possible un bébé neutron - on a quelques techniques pour développer ça : éviter le rose, les robes, les trucs dans les cheveux. Je fais gaffe à ce que je lui dis : qu'elle a des biscottos, qu'elle est costaud, courageuse. Je l'affuble de petits surnoms féminins et masculins.

J'appréhende la période princesse - pour moi, ça sera Finemouche sinon rien. Faire exister dans son petit monde autant de couples hétéro que de couples homos - que ça soit aussi réel, concret, vivace, dans son petit univers d'images et de représentations, même si ça ne tiendra pas longtemps devant l'effroyable vague d'hétéronormativité du grand monde extérieur... (Je pourrai recustomiser tous ses bouquins : écrire dans les marges et coller des bouts de photos et de dessins de partout pour déshétéronormer toutes les histoires.... Ou voter la parité : pour tout bouquin hétéro qui entre dans la maison, un bouquin homo. Et paf. Je sais, on va ramer... ben sinon on les écrit nous-mêmes....) Puis faudrait pas seulement des couples homos : aussi des personnes heureuses & épanouies sans être en couple ; des personnes qui vivent seules leurs vies et qui prennent leur panard, des personnes qui habitent ensemble parce qu'elles sont ami.e.s, des personnes qui habitent à trois (ben ouais), qui habitent en communautés, qui... enfin, d'autres modèles que petitoursbrunetsonpapaetsamaman, D'AUTRES MODELES.

 

* * *

 

Je n'emploie pas le terme "mère", quand je parle de moi (encore moins le mot "maman" quand on parle entre adultes : "je suis la maman d'une petite fille de..." - beurk) - je préfère être "parente". Un rôle de parente, ne pas être une parente trop nulle... Je vise l'indifférenciation maximale de notre présence auprès de cet enfant - à moi et à l'autre parent. (Pour ne pas dire "rôle". "Fonction".)
Différenciation des tâches :

la mère est davantage présente,

la mère en fait plus,

la mère s'occupe davantage des plus petits, le père des plus grands,la mère est plus douce (câline),

la mère rassure davantage quand l'enfant pleure / quand l'enfant pleure il réclame d'abord sa mère.
Je ne veux pas être fusionnelle avec cette enfant ; je ne veux pas que l'autre parent serve de "tiers séparateur" (me reviennent à l'esprit les frissons (de rage et d'horreur) qui m'avaient parcouru à la lecture de Badinter) ; je ne veux pas en faire plus ; je ne veux pas de cette asymétrie entre lui et moi qui fera que l'enfant me réclamera plus. Comment faire pour ne pas être cette "maman" ? (Où ranger toute notre socialisation genrée, qui façonne mon rapport aux enfants en général (et à celle-ci en particulier), et son rapport aux enfants et à cette enfant ?)

Les dés sont pipés dès le début - pas à cause de la grossesse (la belle affaire), pas à cause de la "nature", à cause du congé maternité - très social et institutionnel, celui-là. Sauf circonstances particulières (chômage, choix de non travail, travail à dom', VLV (very longues vacances).... tout ça), après ses petits 11 jours de congé paternité auquel il a droit s'il a pénis, et autres petites vacances si il/elle a de la chance, l'autre parent reprend le chemin de ses journées-à-plein-temps, et parent-qui-a-accouché se retrouve avec le petit machin du matin jusqu'au soir, dans un joli tête-à-tête, parfois poétique, parfois angoissant, étrange en tout cas - souvent addictif : je dis pas que la relation en soit particulièrement altérée, prenne un tour particulier (maternisant) du côté du petit être (j'en sais rien du tout, et en tout cas, je n'en ai rien vu : le machin que je couvais (de l'œil et du bras) ne manifestait aucun signe de reconnaissance - il se comportait de la même façon dans mes bras, dans les bras de l'autre parent, et dans les bras d'un/une qu'il n'avait jamais vu.e de sa courte vie ; ce qu'il voulait, c'était des bras - après, les bras de qui, il semblait s'en carrer comme de sa première chaussette.) Pas du côté du petit, donc, mais de mon côté, assurément : ma relation à lui prenait un tour bien particulier : un tour de poule, un tour qui me construisait (un peu) comme une mère, un tour qui me particularisait, qui fabriquait un peu de cette asymétrie entre moi et le papa. Qui a fait que quand, au bout de deux mois, je l'ai laissée à l'autre parent pendant deux heures trente pour prendre le métro (ô le monde extérieur !) pour aller dans des magasins (ô le monde extérieur !) (je sais, ça aurait été vachement plus classe d'aller au Louvre pour mes deux premières heures trente de liberté ) - je me suis trouvée dans un état de névrose aggravée - est-ce que ça va, est-ce que ça va, où elle est, qu'est-ce qu'elle fait, est-ce que ça va, est-ce que... je me sentais vide et ballante comme un manchot qui a perdu son œuf, toute stressée - je me suis dit : "en quoi suis-je en train de me transformer ???!!" En ça. En parente genrée frappée d'asymétrie. Paf. La honte.

Je vise l'indifférenciation maximale des tâches / rôles...

 

[ Cet article de Virginie Descoutures traite, donc, du partage du travail de soin aux enfants dans les couples de femmes. L'enquête qu'a menée la chercheuse montre que ce partage est rarement égalitaire : "on ne retrouve certes pas de couples où l’une "jouerait la femme" (en n’accomplissant que des tâches féminines) et l’autre "jouerait l’homme" (en se réservant le bricolage et le jardinage). Mais les femmes qui en font davantage sont généralement celles des deux membres du couple qui ont un revenu inférieur à celui de leur compagne et dont l’absence à l’extérieur du logement (sur le lieu de travail) est plus courte, du fait d’un temps partiel de travail." V. Descoutures note tout de même que les inégalités au sein des couples lesbiens sont globalement moins fortes que dans les couples hétérosexuels. L’explication vient peut-être, écrit-elle, du fait qu'elles sont "toutes deux soumises à l’obligation (renforcée par la suspicion liée à leur homosexualité) d’être une « bonne mère. »" ]

 

* * *


Ma socialisation comme fille / femme a fortement marqué la façon dont je gère mes émotions - dont je ne les gère pas, en fait, principalement . On pourrait dire que je suis très "émotive". Que ça monte vite, me submerge, que j'en mets partout. Là encore, mon indifférenciation des rôles en a pris un coup... faudrait d'abord voir à ne pas se construire en femme / homme pour ne pas se comporter en mère / père.... (ce qu'on peut, ce qu'on peut, faire ce qu'on peut....)

Ne pas construire ma fille comme fille.
(Vais-je me retrouver avec l'assistance sociale aux fesses ?)
"Toute différenciation est une hiérarchisation, tout acte de socialisation féminine est une amputation." (C'est une citation de personne, hein, juste un essai de voix - écouter comment cette phrase sonne, s'interroger.)

 

* * *


Quand j'étais enceinte, j'ai fait attention à ne pas utiliser le prénom du futur enfant pour parler du fœtus - parce que les fœtus ne sont pas des personnes, parce que sinon la pente est glissante.

 

(J'avais du mal, cependant, à neutraliser ce penchant en moi : le goût de la relation avec un être imaginaire. Parce que j'ai longtemps été animiste, j'ai passé de longues années à converser dans ma tête avec les petites cuillères, les chaussures et les oreillers qui m'entouraient. De là à tenir salon avec un petit paquet de gras dans son ventre, il n'y a qu'un pas.)

 

* * *


Il est évidemment important que toutes les femmes puissent faire le choix de ne pas avoir d'enfants : Clémentine Autain a super raison d'insister, dans un article sur la maternité, sur l'accès à la contraception et à l'avortement, sur l'urgence qu'il y a à se battre pour que les centres d'IVG restent ouverts et que les médecins continuent, plus nombreux, à pratiquer cet acte (on pourrait aussi parler des conditions d'accès à l'avortement et des conditions dans lesquelles cet acte est pratiqué).

Mais je pense qu'au-delà de cette affirmation, « toutes les femmes doivent pouvoir de pas avoir d'enfants », il faut s'interroger sur les conditions politiques du fait de ne pas avoir d'enfants (ou d'en avoir) ; sans doute beaucoup ne seront pas d'accord avec moi, mais je continue à penser, de façon bornée et totalement schizophrénique, qu'il est davantage féministe, dans notre société, d'exister comme femme sans enfant plutôt que comme femme avec enfant(s).

 

* * *

 

Je crois pouvoir écrire que j'ai vécu mes premiers mois avec cette enfant comme une épreuve sportive. Une épreuve d'endurance, qui mettrait au défi mes nerfs, ma patience, ma capacité de résistance à la fatigue physique et mentale.

Le plus changement le plus frappant dans ma vie, depuis l'arrivée de ce petit être, c'est l'engloutissement de mon temps. Un festin de temps au ralenti - le temps passé avec un bébé est un temps étrange : on ne fait (presque) rien, et ce rien remplit tout.

Tous les bébés ne se comportent pas de la même façon - et les adultes avec eux non plus (y aurait-il un lien entre les deux ?), et je sais bien que certains adultes parviennent à faire tout un tas de trucs en gardant un bébé (je le sais et ça m'émerveille) (si comme la narratrice de la Femme gelée j'avais dû préparer mon Capes de Lettres en gardant le koala, je pense que j'aurais bien fait marrer le jury). La mienne la nôtre [n'appartient à personne] est du genre petite sangsue à temps plein : pendant des semaines et des mois elle est restée perchée dans nos bras, comme le baron de Calvino dans son arbre, et de nos bras, du coup, on ne pouvait pas faire grand chose - toute la journée. Aujourd'hui elle consent à en descendre un peu si l'on ne s'éloigne pas plus d'un mètre pendant moins de quatre minutes (sieste y compris) (j'exagère à peine) - forcément, notre temps en est tout bouleversé.

En fervente adepte du constructivisme radical, je considère que rien dans son comportement ne lui vient de son gène numéro 4 ou de la position des étoiles dans le ciel - que tout lui vient de ce petit jeu de légos qui a commencé avec elle, et où ce qu'elle est se construit, progressivement, au rythme de ses interactions avec le monde, avec nous, avec moi aussi, au rythme de ses interprétations de toute cette bouillie... Alors si elle ne descend pas de nos bras (par exemple), c'est... c'est pourquoi ? Je ne maîtrise pas les règles de ce jeu - je n'ai aucune idée des conséquences de ce que je fais et ce que je ne fais pas, et de comment je le fais - c'est beaucoup trop compliqué... (savoir ce qu'il faut faire.... bien faire... (gouffre d'incertitudes...))

 

Quand elle est née, je me suis sentie dépassée par sa perfection : ce bébé était trop beau, trop parfait, c'était trop grand, trop ; parce que, sans doute, j'avais imaginé ce bébé prématuré et malade, ou trisomique.

A plusieurs reprises, durant les premiers mois, mes petits nerfs fragiles chargés à plein temps de me donner la figure d'une fille normale et enjouée ont craqué (comme la glace qui craque sous les pieds du pingouin), et je me suis vue, transformée en une flaque, qu'a dû éponger l'autre parent. (Un peu de honte, un peu de peur, beaucoup de honte, quelques hoquets, de la fatigue). Une incapacité à penser tout ça féministement. Le ressenti de ma honte et de ma culpabilité dépassaient largement les discours politiques féministes que j'aurais pu tenir à n'importe quelle femme à ma place et dans mon état d'éponge.

 

 

* * *


« La maternité est devenue l’expérience féminine incontournable, valorisée entre toutes : donner la vie, c’est fantastique. La propagande “pro-maternité” a rarement été aussi tapageuse. Foutage de gueule, méthode contemporaine et systématique de la double contrainte : “Faites des enfants c’est fantastique, vous vous sentirez plus femmes et accomplies que jamais”, mais faites-les dans une société en dégringolade, où le travail salarié est une condition de survie sociale, mais n’est garanti pour personne, et surtout pas pour les femmes. Enfantez dans des villes où le logement est précaire, où l’école démissionne, où les enfants sont soumis aux agressions mentales les plus vicieuses, via la pub, la télé, Internet, les marchands de soda et confrères. Sans enfant, pas de bonheur féminin, mais élever des gamins dans des conditions décentes sera quasiment impossible. Il faut, de toutes façons, que les femmes se sentent en échec. »
Virginie Despentes, King Kong Théorie

 

Ce n'est pas la même chose d'élever un enfant avec ou sans fric. Les conditions dans lesquelles on a un enfant en changent complètement la réalité – conditions de temps, de dépendance, de pauvreté.


(Sans enfant on a davantage de temps et d'argent ; avec, on a plus de reconnaissance et de gratifications sociales – AH : on a plus d'amour aussi .

Ça veut dire quoi, aimer un bébé ? C'est un truc étrange.)

 

* * *

 

Ce qui est le plus dur, pour moi, sans aucune hésitation : ses pleurs, ses cris, parfois ses hurlements. A tel point que la question « vais-je y arriver avec ce bébé ? » s'est vite traduite en « vais-je réussir à affronter ses crises de pleurs ? » Une épreuve terrible pour moi.

Éprouver son impuissance face à ce qu'on lit comme une immense détresse, une terreur. [ Je deviens aussi angoissée qu'elle, tendue comme une punaise, à vif, ses hurlements me plongent dans un état de nerf et finalement un désespoir profond. ]

Finalement je me dis qu'on pourrait proposer comme test ultime de personnalité aux gens qui partent dans l'espace ou dans un sous-marin et dont les nerfs doivent être d'acier d'affronter les trois heures trente que peut durer une crise de ce bébé.

 

C'est tellement fragile, un bébé, on peut le tuer fastoche, en quelques secondes. Avant qu'elle naisse, j'avais des flash, souvent : je la lâchais, elle tombait, elle passait par la fenêtre, se fracassait contre une table. C'est fou d'avoir la responsabilité d'une vie.

 

* * *

 

Pour essayer d'écrire un truc vaguement organisé (attendez les gars je chausse mes lunettes), je dirais que le fait d'avoir un enfant met en question et transforme notre rapport à trois éléments : dans cette expérience sont en jeu notre rapport au temps, au pouvoir, et aux normes.
Au temps, parce qu'un enfant aspire et fait des corn flakes de notre temps libre. [ Petite parenthèse : quand je parle de temps libre, ici, je parle en tant que moi et de ma classe... Parce que l'expérience que peut avoir du temps libre une femme certes sans enfant, mais employée dans une société de ménage (par exemple), qui a quatre tranches de ménage à faire dans la journée dans quatre lieux différents de la région parisienne, et qui rentre chez elle pour croûter sur son lit et essayer de vaguement reconstruire ses forces pour la journée d'après... est certainement fort différente de la mienne. ]

 

Aux normes, parce qu'avoir un/des enfants est un enjeu puissant de conformation sociale, en particulier pour les femmes.


Au pouvoir enfin parce que je trouve cet appel à contribution passé sur la liste Efigies pas con du tout – qui dit :

 

« Aujourd'hui, dans le monde entier, les humains vivent leurs premières dix-huit années sous un statut social particulier : le statut de mineur régit dans tous ses aspects la vie de 20 à 50% de l'humanité. Ce "minorat" est justifié par l'idée de nature : le caractère inabouti du développement corporel et mental des moins de dix-huit ans, leur manque constitutif de discernement censé en découler, nécessite de leur imposer un statut dérogatoire au droit commun (Delphy). Ils sont ainsi placés automatiquement sous tutelle soit de leurs géniteurs, soit d'adoptants, soit de "professionnels de l'enfance", salariés d'institutions spécialement dédiées à leur cas spécifique.

Cette même nature "d'enfants", d'"être en devenir", est censée impliquer que ces jeunes humains soit éduqués ("pour leur bien"), et pour ce faire contenus dans des familles, des foyers et des écoles, et soumis à un travail constant d'apprentissage. De fait, le "manque de discernement" qui leur est imputé a pour conséquence que la société retire aux "enfants" tout pouvoir effectif sur leur vie.

Peut-on développer une lecture politique, féministe, de ces rapports sociaux adultes/enfants si peu problématisés ? Peut-on légitimement analyser la condition des "enfants" en termes d'appropriation privée (familiale) et d'instrumentalisation sociale (éducative) ? Dans quelle mesure peut-on parler de domination adulte sur les enfants ? […] Cet atelier propose donc d'étudier un type de discrimination et de domination qui a été peu problématisé, de façon à faire émerger certaines de ses caractéristiques propres, son importance, et les liens tissés avec d'autres oppressions fondamentales ­ tout particulièrement les oppressions de genre. »

 

Décider « d'avoir un enfant » implique d'accepter d'exercer un pouvoir immense sur une autre personne. En particulier, de lui donner des ordres et de se donner tous les moyens de se faire obéir (persuasion, incitation, répression). Et ce « pour son bien », pendant des années. Ce n'est tout de même pas rien.

 

 

Ici, un article sur les usages de la maternité dans l'histoire du féminisme.

 

 

* * * * * * *

 

Au terme de cet article-fleuve un peu boueux, avec quelques cailloux et quelques crocodiles, je voulais juste dire que la méduse essaie de revenir. Elle n'a plus toutes ses neurones rangées dans le bon ordre, il semble, mais elle fera de son mieux. A son petit rythme de mollusque (qui ne fait pas ses nuits).

N'hésitez pas à écrire tous les commentaires qui vous passent par la tête :)

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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 09:47

 

Pour le Point G de la Bibliothèque Municipale de Lyon.

g.gif

La BM de Lyon dispose d'un centre de ressources sur le genre (« identités, sexualités, mémoire gay et lesbienne ») ; on peut s'y rendre en vrai (il est situé dans la centrale obèse de la Part-Dieu), et / ou se balader sur leur site internet.

On peut consulter en ligne tout un tas de docs. Les conférences filmées sont une véritable mine.

Des bibliographies sont également proposées.

 

Seule petite interrogation-déception en forme d'accent circonflexe : dans tous les textes de présentation, nulle part le mot « féminisme » n'apparaît, et même pas dans l'article « qu'est-ce que le genre ? » qui commence par une citation de Beauvoir – comme si le féminisme n'avait rien à voir avec la choucroute, comme si les études gay et lesbiennes n'étaient pas intimement liées aux études féministes, comme si tout le travail de déconstruction du naturel et d'élaboration du concept de genre n'avait pas été d'abord mené par des penseuses féministes...

 

Volonté explicite ?

 

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22 avril 2010 4 22 /04 /avril /2010 07:56

Je n'ai jamais été une grande aventurière. Je suis plutôt du genre peureuse, pantouflarde, un peu autiste sur les bords. Je n'ai pas fait d'observation participante dans un village malien de la région de Kayes au bord du fleuve Sénégal. Il m'arrive de me retrouver dans des situations sociales qui me sont pénibles, où je me sens envahie d'un sentiment d'étrangeté, où j'éprouve mon incompétence sociale, incompétence à savoir quoi dire, comment sourire, où mettre mes mains, mes bras, où tous les muscles de mon visage me deviennent sensibles - je plaque un sourire tout de tension sur ma face et le naturel s'en va à grands pas.

 

Un soir, je suis allée assister à un cours dispensé à l'Ehess. Le premier d'une série espacée sur trois mois. Sur le chemin, j'ai été prise d'une folle anxiété. Heureusement j'avais des choses à faire - marcher, éviter les obstacles sur le trottoir - je m'attachais à les faire très vite pour oblitérer mes pensées - ça marchait. Devant la salle, quand les étudiant.e.s ont commencé à former une petite masse compacte dans le couloir, je me suis adonnée à diverses activités destinées à m'arracher une contenance, attentive à garder un air absent et préoccupé. Elle m'a prise : cette sensation d'être, profondément, une étrangère - une visiteuse de l'espace. Elles se faisaient des bises, avaient des petits rires. Des coupes de cheveux dans le vent. (Je me faisais ma contenance de fille qui sait pourquoi elle est là et qui fait abstraction.) On est entré.e.s dans la salle, ça débordait.

Il a fallu se plier à l'exercice : le tour de table sous les dizaines de paires d'yeux. J'étais la seule étrangère. J'ai dit que je travaillais sur rien (avec un air affairé).

Là, dans cette salle trop pleine et trop chaude, à côté de tous ces gens du milieu, plus tard pendant l'honnie pause à café, quand j'ai été à la fois invisible et trop visible, de trop, et transparente, je me suis sentie loin de chez moi. Avec mon petit cahier et mon petit stylo.

 

Le lendemain matin je donnais conférence pour un public de 0 - 2 ans.

Et j'ai pensé : ici c'est chez moi, ça je sais le faire.

Ca donne un peu de force pour les champs d'yeux étudiants.

 

(Mince, voilà que je me mets à parler de moi.)

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 17:35

Pourquoi diable ai-je appelé ce blog comme ça ?
(ou : qu'est-ce que la méduse a à voir avec le schmilblick ?)meduse-3.jpg
(et encore : depuis quand les mollusques font-ils des tas ?)

Alors, il faut d'abord que je vous parle de mes pierres.
Que je vous présente ensuite la méduse.
Dans la troisième partie de mon opéra je vous danserai le triolet du tas :)

De 1971 à 1973 est publié en France "Le torchon brûle", journal féministe ; six numéros sortiront. Dans le numéro zéro on peut lire :

« Soyons chacune, aujourd’hui, maintenant, un individu entier : plus de fragments, plus d’essence des femmes (la féminité), plus de merveilleux petits animaux incompréhensibles mais en fait très bien compris puisque créés de toutes pièces par eux : qu’ils ne rencontrent que des blocs. Je suis venue créer avec vous un bloc. Je suis venue me changer en pierre. »

Torchon22p.jpgCette citation, sur laquelle je suis tombée en lisant des bouts du cinquième tome de l'Histoire des femmes en Occident (Perrot / Duby), il y a plusieurs années, m'a plu ; d'où le nom de domaine de la Méduse.


   aussi

parce que les pierres peuvent servir à plein de choses.
Pas seulement à se planquer dedans, tranquille, au coin de la cheminée, pendant que le loup s'époumone dehors sans rien ébranler du tout  - pas un de nos cils.
Ca peut aussi se lancer.
(Il me semble pour ma part que je n'ai jamais lancé que de piteux gravillons.)177-le-tas-de-pierres.jpg

Ca peut s'entasser, consciencieusement, dans la tête.

La méduse, je l'ai choisie pour tout un tas de raisons, et pas seulement pour ses petits yeux vicieux qui pétrifient l'ennemi (principal ou accessoire).

Elle m'a plu parce qu'elle est monstrueuse.
(Les gorgones sont des créatures malfaisantes, elles ont des ailes, des grandes dents, des serres et des défenses de sangliers ; démons, furies, harpies, mégères).

Parce que j'adore le début du bouquin de Virginie Despentes, sa King Kong théorie, pleine de filles repoussantes et de têtes de serpents :gorgone.jpg
"J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf." (p.9)

Les monstres me rappellent l'oncle de Butler.
"J'ai grandi en me familiarisant, si l'on peut dire, avec la violence qu'exercent les normes de genre : un oncle incarcéré à cause d'un corps anormal, privé de famille, d'ami.e.s, vivotant jour après jour dans un "institut" dans les prairies du Kansas [...]. A quoi aurait dû ressembler le monde pour que mon oncle pût vivre en compagnie de sa famille, d'ami.e.s, ou de parents éloigné.e.s ? Comment doit-on repenser les contraintes liées aux morphologies idéales qui sont posées sur l'humain pour que la personne qui échoue à s'approcher de la norme ne soit pas condamnée au statut de morte vivante ?" (p.42/43)


Moche et méchante, démembrée, la méduse est aussi ce petit animal flasque qui se répand - là aussi elle a tout pour me plaire.
limace.jpgPas dynamique pour un sou, pas responsable, pas entrepreneuse, pas pressée - qui se prend pas en main, et qui va pas de l'avant ; une petite mollusque qui se traîne en bavant ; qui gémit, qui glapit, qui se plaint, qui geint aussi - qui adore se victimiser, parce que/quand elle est victime.

Parce que je n'aime pas cette mode en vogue, d'un "autre" féminisme, d'un féminisme "à contre-courant" ( ? ), voire (pire) "non politiquement correct", qui 1/ dirait non à "la guerre des sexes" 2/ s'opposerait à la "victimisation".

Ca me fait penser à ce passage (encore) de la King Kong théorie :

KingKong.jpg"Dans Elle, une imbécile quelconque, chroniquant un autre livre sur le viol, sans le moindre rapport avec le mien, souligne la dignité du propos, se sent obligée de l'opposer aux "vagissements" que je produis. Je ne suis pas assez silencieuse, comme victime. Ca mérite qu'on le souligne dans un journal féminin, c'est un conseil aux lectrices : le viol, d'accord, c'est triste, mais doucement sur les vagissements, mesdames. Pas assez digne. Je t'emmerde." (p.130/131)


Alors voilà, la méduse, avec ses pierres. J'en ai bavé, pour ce piètre résultat ; ça a donné du... "la méduse d'à côté", "la méduse y pense", "l'autre méduse essaie d'y penser", et puis voilà, finalement, j'en suis venue au tas, parce que quand même...


En lisant le petit (tellement dense (lourd/plein de bonnes pierres)) bouquin d'Elsa Dorlin, "Sexe, genre et sexualités - Introduction à la théorie féministe", je me suis esclaffée (si si) à la lecture d'une note de bas de page :

"[là c'est pas la note] Les deux sources majeures de cette pensée de l'essentialisme symbolique ou culturaliste des sexes sont la psychanalyse et l'anthropologie structuraliste. Deux sources que Monique Wittig appelle "la pensée straight" : "femme", "homme", "différence", mais aussi "histoire", "culture", "réel", "fonctionnent comme des concepts primitifs dans un conglomérat de toutes sortes de disciplines, théories, courants, idées, que j'appellerais "la pensée straight" " et qui se caractérise par sa "tendance immédiatement totalisante". [petite note de bas de page : ] Monique Wittig, La pensée straight, trad. M.-H. Bourcier, Paris, Balland, 2001, p.71. Et que Christine Delphy appelle le "tas" - de représentations (L'ennemi principal, II, p.259)." (p.57)

(Quoi, vous trouvez pas ça hilarant ? le "tas" ?)dorlinpuf.gif

J'ai été un peu déçue en mettant le nez dans l'ennemi, parce qu'en fait c'est beaucoup moins marrant dans le texte original ; mais tout de même. Comme j'hésitais déjà sur le concept de "nébuleuse", en tant qu' "amas peu homogène de quelque chose" (patch-work, chutes, pas-perdu), m'atteler au pelletage d'un contre-tas ne m'a pas paru sans charme.

 

Je viens commencer ici mon tas de pierres.
Mon autre tas (de représentations).

 



(Que chacun-e se serve comme chez elle/lui.)

 

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Présentation

Où êtes-vous ?

Chez la méduse. Glânez comme bon vous semblera.
Vous trouverez ici de petits comptes-rendus de bouquins que j'ai lus (plus souvent de passages / chapitres), ou (plus rarement) de cours / séminaires / conférences auxquels j'ai assisté. (Je veillerai à user les citations avec modération, si !)
Ces petits topos seront situés : c'est moi qui parle, j'écrirai donc ce que j'ai compris / pas compris, ce que j'ai aimé, ce qui m'a intéressé, ce avec quoi je suis en désaccord, etc. Les réactions sont très bienvenues. Vous y trouverez aussi épisodiquement des récits - de choses vues, entendues, autour de moi.
Thèmes abordés chez la méduse : féminisme, théorie féministe, genre - militantisme, sciences sociales, racisme aussi (... etc.?)
Pour quelques explications sur la méduse qui change en pierre et vaque à son tas, vous trouverez un topo ici. D'avance merci pour vos lectures.

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