"Ensuite ensuite… j’ai pas trop envie de citer ou de disséquer. Juste, elle écrit des trucs stupides, qui me fatiguent. De tas de constatations fondées sur l’observation de jeunes enfants en école maternelle (principalement, le fait qu’ils forment des groupes de même sexe pour jouer), elle induit que « [le dualisme sexuel] est une donnée élémentaire de la conscience identitaire de l’enfant ».
Donnée élémentaire.
J’ai effectué des stages, puis travaillé à plein temps pendant sept mois dans deux écoles maternelles de Marseille, avec des enfants de quatre classes différentes, de deux ans, trois ans, quatre ans et cinq ans. Je les ai entendus discuter entre eux, je leur ai lu des histoires, je les ai regardés jouer dans la classe et dans la cour de récréation. Ils m’ont raconté leurs peines et leurs joies, leurs peurs, leurs découvertes, leur quotidien.
Et je peux vous dire, moi (des milliers et des milliers d’autres personnes sont là derrière moi pour confirmer mes dire, parents, puéricultrices, institutrices, agents de service d’école maternelle, pédiatres, éducateurs, etc.) que des enfants de trois ans, pas plus que ceux de deux ans ou même de un an ne sont pas des animaux sauvages non encore socialisés et façonnés par la nature, ne sont pas des idéaux types de l’être humain naturel hors influence de la société.
A deux ans ils connaissent des tas d’histoires, regardent la télé, racontent ce qu’ils ont vu ou fait avec leurs amis et les membres de leur famille ; ils ont en tête des schémas très élaborés de rôles sociaux féminin et masculin, et ces schémas ne résultent pas de structures spéciales du cerveau à la naissance, d’une case « homme et femme » sur le chromosome 14, du XX ou du XY si chers à E.B..
Prendre pour objet des enfants de quatre ans et demi (p.99), pas plus que de un à six ans (p.100), cela n’a jamais signifié travailler sur des matériaux « naturels » ou « a-sociaux » et atteindre l’universel ou l’essence de l’Humain. Le penser, c’est être stupide rien de plus.
Attention, rigueur et démonstration logique.
« Les différences constatées entre groupes de garçons et groupes de filles tiendraient à trois facteurs principaux : la socialisation de l’enfant selon son sexe dès la naissance (mais elle est très différente d’un parent à l’autre, d’une famille à l’autre) ; les facteurs biologiques, enfin les facteurs cognitifs encore mal connus » (p.101).
Super, du scientisme-biologisme-essentialisme-naturalisme, des trucs-on-sait-pas-trop-ce-que-c’est-mais-ça-marche-magique, et la socialisation, mais ça, ça la convainc pas trop, parce que : « elle est très différente d’un parent à l’autre, d’une famille à l’autre ».
Madame B. n’a pas compris que la socialisation ne se faisait pas que par papa-maman et les frères et sœurs, mais que bébé naît dans une société avec des autres gens dedans, une société avec une culture, des institutions, des valeurs, une langue, des significations symboliques ; et elle nage dans le fantasme de « mais on est tous différents quand même » - donc on peut pas dire qu’on est socialisés hein pasqu’on est tous riches de nos différences alors…
E.B. cite le gars qui l’a inspirée dans son raisonnement miteux de tout à l’heure, et je retrouve ce bouquin dont le titre nous a tellement fait rire : « Père manquant, fils manqué » ; l’agréable auteur du dit bouquin, Guy Corneau, intellectuel manqué (son père devait être manquant), déclare : « [par opposition à] la femme qui est, l’homme, lui, doit être fait. En d’autres mots, les menstruations, qui ouvrent à l’adolescente la possibilité d’avoir des enfants, fondent son identité féminine ; il s’agit d’une initiation naturelle qui la fait passer de l’état de fille à l’état de femme ; par contre, chez l’homme un processus éducatif doit prendre la relève de la nature ».
Un véritable manifeste du sexisme.
J’hallucine grave. Je ne suis donc une femme que parce que je peux avoir des enfants. Mon identité est bornée par le fait d’être un ventre. Je vais me faire engrosser et procréer, telle est ma raison d’être et le fondement de mon identité. Identité qui est en continuité avec la nature. Je suis un corps, une terre fertile. J’ai juste à être pour exister, je suis une femme, je ne m’empare pas de mon identité, de mon existence, je n’ai pas à me construire, je n’ai pas de prise sur moi-même, juste, je suis. Je suis dans l’immanence, immergée dans ma féminité, dont je ne peux pas me saisir, puisque je le suis. Pas de recul, pas de pensée, rien à faire de plus qu’être une femme. L’homme lui, doit être éduqué. Il est du côté de la culture, de la construction, du savoir, du détachement.
Question : comment E.B. fait-elle pour lire des choses pareilles sans se départir de son paisible calme compréhensif de femme en paix avec son vagin immanent ?"
Voilà, fin du texte que j'avais écrit à l'époque, en lisant le début de "X Y, de l'identité masculine".
J'espère ne pas vous avoir gonflé.e.s avec, mais en retombant dessus, l'autre jour, j'ai eu envie de faire partager... Simplement parce que Badinter passe pour le grand public et dans les médias pour "une féministe" - quand ce qu'elle écrit / dit est tellement poisseux.