Je continue ici le résumé/ compte-rendu commencé là, de l'intervention de Gabriell Galli à laquelle j'ai assisté en février dernier. Après avoir évoqué la place du genre et de la sexualité dans le nationalisme d'hier, principalement dans la conquête et les régimes coloniaux, dans la deuxième partie de son intervention il centre son regard sur les temps présents.
Pour commencer Gabriell G. nous rappelle qu'il faut se méfier d'une vision de l'histoire linéaire selon laquelle l'Europe serait allée de façon continue vers plus de progressisme et de tolérance vis-à-vis des homosexuel.le.s. Les années 1930 marquent par exemple un tournant répressif : on jouissait de plus de liberté en 1920 qu'en 1935.
Depuis les années 1970, on assiste à un mouvement de politisation et de plus grande visibilité des organisations LGBT. Cette visibilité reste néanmoins asymétrique (les lesbiennes sont moins visibles), et concerne certaines classes sociales bien particulières : les classes moyennes blanches, cultivées, urbaines, à fort capital économique. Parallèlement, il devient moins légitime de dénoncer directement et explicitement l'homosexualité : le langage homophobe doit être masqué. De la même façon qu'on dit « mais je ne suis pas raciste », on dit à présent « mais je ne suis pas homophobe » : il faut afficher publiquement sa distance vis-à-vis de ce qui est communément reconnu comme un mal, ce qui, bien sûr, comme dans le cas du racisme, n'empêche nullement les modes de pensées, les actes et les paroles (moins explicitement et évidemment) homophobes.
Eric Fassin a contribué à mettre en évidence cette évolution et la place nouvelle qu'occupe l'homosexualité dans les discours publics ; il a forgé pour les penser le concept de "démocratie sexuelle", qu'il définit comme « une conception lisse de la féminité à laquelle tend à s’adjoindre une conception lisse de l’homosexualité ».
Dorénavant, énonce Gabriell Galli, les homophobes sont Africains : le combat contre l'homophobie s'internationalise et se voit pris dans les rapports Nord/Sud.
Une forme neuve du discours ancien sur l'absence d'homosexuels en Afrique se fait jour : on dit à présent qu'il n'y a pas d'homos en Afrique parce que ce n'est pas possible de l'être – il y a trop d'homophobie. (De naturellement sans homosexualité, l'Afrique est devenue homophobe.) L'Europe à l'inverse est culturellement homophile ; c'est la civilisation européenne dans son ensemble qui est homophile.
L'important, explique G. Galli, est de chercher à comprendre les enjeux de la frontière entre pays homophobes et pays homophiles : qui a intérêt à construire, à maintenir et à diffuser cette conception de l'Afrique comme continent homophobe ?
La question homosexuelle est utilisée de façon stratégique par les élites.
Aujourd'hui à la différence du XIXe siècle, l'Autre, non-occidental, non-blanc, n'est plus seulement chez lui, il est aussi chez nous : on n'est plus dans une logique de conquête mais dans une volonté de défense de son chez-soi.
L'homonationalisme sert précisément cette stratégie de défense de son canapé perso : on impose aux personnes désirant immigrer dans des pays européens de véritables tests de civilisation, dans lesquels la question homosexuelle figure à côté de la question féminine. Ainsi en Allemagne, dans le Bade-Wurtemberg, les candidat.e.s à l'immigration doivent répondre à des questions comme : que faites-vous si votre fils est homosexuel ? Cette question (à côté d'autres comme "laissez-vous votre femme aller chez un médecin homme ? les auteurs des attentats du 11 septembre étaient-ils à vos yeux des terroristes ou des combattants de la liberté ?) fait partie du Muslim Test (test pour musulmans) ; elle suppose par ailleurs que tous les citoyens et citoyennes déjà allemand.e.s sautent de joie à l'annonce de l'homosexualité de leur fils. Aux pays-Bas, continue Gabriell G., le pack de préparation au "test d'intégration civique" comprenait jusque récemment un DVD montrant des scènes de flirt entre deux hommes.
En 2010, Judith Butler refuse le prix du courage civil décerné par la marche des fiertés berlinoise. Elle veut en effet que ce prix soit décerné à une association LGBT turque ou noire, et le dit haut et fort ; la marche des fiertés est, elle, dominée par des blanc.he.s. Cet événement est souvent présenté comme l'année zéro de la lutte contre l'homonationalisme, car il a été assez fortement médiatisé - Judith Butler faisant figure de star dans le milieu. En réalité, cette lutte a commencé bien avant – plus loin des spots des projecteurs...
En France l'année 2011 est marquée par « l'affaire du coq » : une affiche du centre LGBT pour la marche des fiertés aux coloris rappelant fortement le bleu/blanc/rouge et arborant un coq, avec le slogan « En 2011 je marche en 2012 je vote » fait vivement polémique. Ce sont principalement les Lesbiennes of Color (groupe doublement non mixte : qui ne rassemble que des femmes lesbiennes non blanches) et les Homosexuels Musulmans de France qui prennent la parole. La présidente du centre LGBT répond à leurs critiques dans une lettre qu'elle intitule « les ayatollahs de l'intérieur » (on appréciera le choix de l'insulte), et dans laquelle elle évoque l' « ultra-communautarisme » des personnes qui dénoncent le racisme de cette affiche. Selon elle les LOC et les HMF font le lit des extrêmes et méprisent l'idéal républicain. Ainsi parler du racisme, c'est communautariste, résume Gabriell Galli.
Les Lesbiennes of Color répondent à cette lettre dans le texte « Ni coq gaulois, ni poule pondeuse » dans lequel elle dénoncent l'ethnocentrisme des luttes gays.
En février dernier Didier Lestrade (cofondateur d'Act-up et de Têtu) a sorti un livre intitulé Pourquoi les gays sont passés à droite dans lequel il est beaucoup question d'homonationalisme.
Gabriell G. note qu'il n'existe pas de politique d'État qui utilise l'anti-racisme contre les gays, tandis que l'inverse est vrai.
La question qu'il faut se poser, insiste-t-il, est celle des stratégies et du pouvoir : qui utilise l'homophobie / la cause LGBT, et pour quoi faire ? L'Europe fait de plus en plus entrer le gay blanc dans son projet national.
Et aussi : on ne peut pas comprendre les stratégies mises en place par les personnes quand on ne connaît pas les situations concrètes de vie. (Faudrait mettre cette phrase en gras énorme capital sur les murs de toutes les assocs féministes...)
Voili voilou, je finis en disant un grand MERCI à Gabriell Galli pour cette intervention qui était vraiment très très forte :)