Etant donnée la position qu'elle occupe, dans le champ médiatique, dans la sphère féministe aussi, ça m'escagace de critiquer Nacira Guéni-Souilamas. Pourtant... je n'aime vraiment pas son article, et j'ai envie d'expliquer pourquoi.
Un article d'une quarantaine de pages qui vient après celui d'Eric Macé, et qu'elle a intitulé « De nouveaux ennemis intimes : le garçon arabe et la fille beurette ».
Je vais lister ici ce qui me chagrine.
Nacira Guénif-Souilamas est sociologue (chercheuse au Cadis, laboratoire de sociologie de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, et maîtresse de conférences en socio à Paris-XIII) – pourtant son article s'apparente à un essai – ses idées ne prennent appui sur aucun terrain – aucune observation, aucun entretien, aucune donnée quantitative non plus... bref on cherche le réel dans tout ça...
D'autant que... les généralisations et affirmations à l'emporte-pièce fleurissent dans tout l'article, comme le muguet au printemps...
Usant d'un ton polémique, jouant d'ironie, maniant le style indirect libre, elle entretient à terme un sentiment de flou désagréable quant à qui parle : elle reprend les propos, les expressions, ou bien grossit le trait des perceptions des autres, culturalistes, racistes, mais son texte est si touffu qu'au final – de mon point de vue en tout cas – on ne sait plus très bien si ces expressions (très dérangeantes) sont les siennes ou celles des racistes. Cette ambiguïté me met mal à l'aise. Je m'arrête sur certaines phrases, écarquille les yeux, reviens en arrière, ah non j'ai mal compris... mais à force... c'est bien confus.
Petit exemple : « Le virilisme, expression outrancière d'une masculinité contenue dans ses strictes limites sexuelles, offre en effet l'avantage d'illustrer la proximité idéologique déjà soulignée par Foucault entre perversion et délinquance, ce que, de notoriété publique, les Arabes des cités pratiquent équitablement. [Là, on peut penser que NGS met une distance entre elle et ces propos, qu'elle relaie - qui font la pâte des préjugés culturalistes... ?...] Ces cumulards de la déviance sont donc doublement répréhensibles au regard de règles de la civilité, indexées sur celles de la correction sexuelle. Une désapprobation confortée par la promotion tardive dans nos sociétés d'une rhétorique de la tolérance sexuelle fondée sur le respect et le consentement, toutes choses apparemment étrangères aux mœurs des jeunes Arabes des quartiers. [Alors là, y a-t-il distance ?...] Ils entretiennent l'équivoque en étant plus vrais que nature dans leur mépris pour les femmes et les homosexuels. [On dirait que non.] » (pp.74-75)
Elle semble penser qu'en dehors des « quartiers » et des élites politiques, deux pôles de survivance du machisme, notre société n'a plus rien à voir avec la domination masculine - à peu de chose près, tout le monde est féministe... L'homophobie n'existe pas, à part chez les pauvres et les hommes politiques, la violence contre les femmes n'existe pas, les normes de genre sont pipi de chat...
« Nous vivons à l'heure de frontières poreuses entre les sexes, à l'époque d'une atténuation des différences sociales entre les sexes [...] » (p.63)
« Là où le coming out autorise, voire préconise l'expression singulière de sa sexualité, tant qu'elle sait rester policée et respecte les usages de la bienséance […] » (p.71)
« Interdits de séjour dans les espaces apaisés de la reconnaissance asexuée, de la promotion de la mixité où, à l'inverse des quartiers, il n'est pas de bon ton de proférer des insultes homophobes [...] » (p.71)
« Si la confusion des genres se joue de tous les tabous dans les cercles cosmopolites » (pp.77-78)
Gros gros problème, dans la définition même de son objet (et / ou de son sujet) : de qui parle-t-elle exactement ?... (bouillie...) Parle-t-elle des hommes jeunes des classes populaires habitant dans les banlieues pauvres des grandes villes, dont une grande partie est issue de l'immigration post-coloniale, ou parle-t-elle seulement des hommes jeunes « arabes » ie issus de l'immigration en provenance des pays du Maghreb ? Parle-t-elle des « jeunes de banlieue », ou parle-t-elle du « garçon arabe » ?
C'est tantôt l'un, tantôt l'autre, elle semble faire comme si c'était une seule et même chose, à coups de petits rajouts de phrases, de parenthèses, d'incises - seulement non, faut savoir de quoi on parle...
« Dans ce contexte, les garçons arabes – et leurs acolytes, Noirs et « petits Blancs » des milieux populaires » (p.63). A quoi sert tout ce développement sur l'histoire du monde arabe et islamique, l'histoire de l'immigration maghrébine, si le propos doit concerner aussi les « Noirs et « petits Blancs » » ?... (J'avais déjà de gros doutes – non, d'accord, pas des doutes, des certitudes... - sur l'intérêt de convoquer ça pour expliquer le comportement de jeunes hommes issus de l'immigration maghrébine, alors s'il s'agit aussi de comprendre les autres avec ces outils, alors là...)
Là où ça part carrément en sucette, pour moi, c'est à partir de la page 65, quand elle tente d'expliquer le « garçon arabe » par « son » ( ???? ) passé, « son » ( ??????) histoire, en nous passant en revue « les mœurs arabo-musulmanes » (p.65), la « généalogie méditerranéenne » (p.66), « les Mille et une Nuits » (p.67)... en remontant carrément à l'époque anté-islamique et à « la poésie galante déclamée par des hommes lors de joutes oratoires » (p.66) !!!
Les jeunes hommes français et vivant en France dont elle parle seraient, d'après elle, « coupés d'un passé riche et complexe » (p.74) – et même, « ils trahissent leur passé » (p.75). N'est-ce pas une façon de les essentialiser, en les renvoyant à leurs « origines », leurs « racines » (supposées) ? Et quel potentiel explicatif peut avoir ce soit-disant « passé » (inscrit dans quoi ? Leurs gènes, leur sang ? La poésie galante anté-islamique, ouais... et le rapport avec eux ?? ils sont arabes pareils ??)
Je continue à m'escagacer tout bientôt dans le prochain post qui trépigne...