Comme je cherchais des références sur la littérature (la lecture et l'écriture) et le genre, je suis tombée sur le nom de Christine Détrez (boum). J'ai regardé par curiosité ce que ma bib avait en stock de cette auteure, et j'ai trouvé ce bouquin, coécrit avec Anne Simon : A leur corps défendant. Sous titre : Les femmes à l'épreuve du nouvel ordre moral. Publié au Seuil en 2006.
Anne Simon est prof et chercheuse en lettres (des lettres qu'elle fait discuter avec les sciences humaines) ; Christine Détrez est sociologue et travaille à la fois sur la littérature, le genre et le corps.
Si j'ai eu envie de vous parler ici de ce livre, c'est que sa première partie m'a gênée, et a soulevé en moi des questions. Je ne suis décidément pas à l'aise avec l'usage de la littérature par les sciences sociales... non pas que j'estime qu'un tel usage est illégitime ou stérile – bien au contraire – mais parce que souvent, je trouve que les objectifs, les conditions et les significations de cet usage sont confus.
Avant tout une remarque un peu débile – mais tout de même : parfois je ne comprends pas la façon dont les auteur.e.s et éditeurs /trices choisissent les livres de leurs bouquins – ici, certes c'est joli ça tape, mais impossible de deviner en lisant ce titre (et ce sous-titre) de quoi il est réellement question : d'art et de littérature. [ Le résultat, c'est qu'en parcourant le rayon « socio - femmes » de ma bib, je trouve tout un tas de bouquins, dont les titres font figures de formules interchangeables – L'emprise du genre, La loi du genre, etc. - l'impression que dix bouquins parlent de la même chose, alors que pas du tout ! ]
Les deux chercheuses analysent un corpus, composé en grande partie de romans, mais aussi de films et d'œuvres plastiques. Ces romans / films / œuvres sont tous le fait de femmes. Le corpus est défini plus rigoureusement s'agissant des romans : Détrez et Simon examinent la production d'écrivaines francophones métropolitaines, ayant connu un certain succès dans les librairies et les médias depuis le début des années 1990.
Partant du constat que « le corps féminin sature […] l'espace public comme les débats » (p.11), elles analysent la façon dont ce corps apparaît et est traité dans ces différentes œuvres. Elles cherchent à « saisir des représentations artistiques et symboliques comme d'un matériau pour appréhender les réalités sociales » (p.16), « mesurer ce qu'il en est de l'expression du corps, posée comme instrument de libération dans les années soixante-dix » (p.18), « mesurer, trente ans après les programmes d' « écritures féminines », les effets de la prise de parole des femmes au sujet de leur corps, dans l'expression artistique comme dans les représentations communes » (p.20).
Leur conclusion est relativement pessimiste : « derrière l'apparente libération des mœurs et des propos, ce qui se joue actuellement c'est bien la dangereuse perpétuation d'une forme d'essentialisation du féminin », énonce la quatrième de couv'.
Voilà pour la présentation du bouquin, qui arbore en couverture une œuvre de Louise Bourgeois, « la femme couteau ».
Le livre se compose de trois parties. Dans la première, qui s'intitule « le charme discret des anciens stéréotypes », les auteures listent et analysent ce qui, à leurs yeux, fait de ces prises de paroles de femmes des échecs relatifs (échecs non pas esthétiques mais politiques). La seconde partie a davantage de résonances positives, tandis que la troisième nous replonge le nez dans la boue.
La lecture de la première partie du livre ne s'est pas faite pour moi sans heurts ; mes froncements de sourcils peuvent se résumer à la liste de questions qui suit :
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que serait un récit de la sexualité qui ne serait pas modelé par le regard masculin ?
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qu'entendent-elles par « clichés » ?
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leur critique porte-t-elle sur les œuvres, les actes d'écriture, ou bien sur ce qu'elles révèlent, sur les réalités qu'elles traduisent et rendent manifestes ?
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la véritable interrogation n'est-elle pas (parfois) pourquoi les femmes écrivains écrivent-elles ça ?
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doit-on se demander si les personnages des romans sont vraisemblables (socialement) – cette question a-t-elle un sens ? peut-on lui apporter une réponse ? cette réponse est-elle importante au regard de l'usage que l'on fait des fictions dans les sciences sociales ?
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peut-on examiner les productions de personnes considérées en tant que femmes et seulement en tant que femmes – ou ne doit-on pas plutôt élucider le point de vue de l'écriture dans sa globalité et la multiplicité de ses définitions (et donc, aussi, avec sa dimension de classe) ?
J'ai conscience que cela ressemble à de la ratatouille de proto-idées ; mais j'ai bien l'intention d'opérer tout cela à textes ouverts dans les prochains posts...