Je continue ici à lire à ma sauce l'article de Laura Alexandra Harris traduit en français sous le titre "Féminisme noir-queer : le principe de plaisir", et publié dans l'anthologie du Black feminism édité par Elsa Dorlin ; ça commence là, puis là.
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« Pendant des années je me suis vue comme une féministe, et si je ne sais plus très bien ce que ça impliquait au juste, il s'agissait, j'en suis sûre, d'être sexy. »
C'est ainsi que Laura Alexandra Harris entre dans le vif de son sujet à la neuvième page de son article (p.185 de l'édition française).
Elle nous explique dans la suite quelles étaient, lors de son enfance et de son adolescence, les figures de femmes qui l'entouraient, l'attiraient, la fascinaient, et comment se sont construites ses envies, ses idéaux, ce qui est devenu bon à ses yeux, pour une femme, de vouloir.
Dans ses modèles féminins entraient un peu d'Helen Reddy, un peu de Xaviera Hollander, beaucoup de Cher. Une grosse louche de figure maternelle également. Des morceaux de copines de sa mère et de sa tante-cousine, fumeuse, indisciplinée, militante, très belle, collectionneuse d'amants pas nets.
Être féministe, pour la jeune Laura Alexandra, c'était viser l'indépendance, la réussite professionnelle, le fric, la liberté de faire tout ce qu'on veut. Être célibataire, divorcée, ou mariée à un gros richard pour profiter de son fric. Être féministe c'était être gonflée, ne pas avoir froid aux yeux.
C'était, aussi, jouir du sexe.
Elle trouvait de quoi satisfaire sa curiosité en matière d'anatomie féminine et de techniques sexuelles dans des livres explicitement didactiques, ou dans des romans bourrés de scènes sexuelles (voire carrément des romans pornos) ; il fallait apprendre à prendre son pied, et prendre son pied (Harris parle de « valeurs sexuelles hédonistes »).
Elle admirait sa mère et ses copines, « ces images de femmes à talons hauts, maquillées, décolletées, parfumées » (p.193). Elle adorait Cher, star sexy aux « tenues osées », à « l'image de vamp et d'allumeuse un peu coquine » (p.185).
Et dit plus loin de la star : « elle correspond à un souvenir très fort de la prise de conscience du pouvoir que peuvent conférer le genre et la sexualité » (p.189).
Jouir du sexe c'est ainsi à la fois prendre son pied en faisant du sexe (et dans ce plaisir-là il n'entrait aucune prescription, aucune définition de la « bonne sexualité » : baiser avec une fille ne valait pas mieux que coucher avec un homme), et jouir de ce plaisir que donne le pouvoir sexuel.
Harris évoque à de nombreuses reprises, dans cet article, ce lien entre plaisir et pouvoir.
Entre plaisir sexuel et pouvoir, entre pouvoir sexuel et plaisir – entre sexe, pouvoir et plaisir. (C'est là l'essence du fameux « principe de plaisir » qui fait de la seconde partie de son titre un petit éperon accrocheur, une énigme sucrée qu'il faut absolument qu'on éclaire.)
A la lecture de l'article, j'ai tout de suite pensé à un chapitre de la King Kong théorie de Virginie Despentes, à l'un des passages qui m'avait le plus interpelée, le plus bousculée, laissée le plus perplexe et pleine de questions que je n'aurais pas posées de ma place, auxquelles il m'était impossible de répondre, depuis ma place, parce que tout cela – ce continent, du pouvoir du sexe – est très éloigné de moi (de ma position de genre, de ma sexualité, de ma vie).
Il s'agit du chapitre « coucher avec l'ennemi », dans lequel Despentes raconte son expérience de travailleuse du sexe. Et ce passage, plus précisément, dans lequel elle relate sa transformation, son effet sur les autres, et la façon dont elle a ressenti l'une et l'autre :
« La première fois que je sors en jupe courte et en talons hauts. La révolution tient à quelques accessoires. […] Les Américaines, quand elles témoignent de leurs expériences de « travailleuses du sexe », aiment à employer le terme « empowerment », une montée de puissance. […] J'étais jusqu'alors une meuf quasiment transparente, cheveux courts et baskets sales, brusquement je devenais une créature du vice. Trop classe. Ça faisait penser à Wonder Woman qui tournicote dans sa cabine téléphonique et en ressort en superhéroïne, toute cette affaire, c'était marrant. […] L'effet que ça faisait à beaucoup d'hommes était quasiment hypnotique. Entrer dans les magasins, dans le métro, traverser une rue, s'asseoir dans un bar. Partout, attirer les regards d'affamés, être incroyablement présente. Détentrice d'un trésor furieusement convoité, mon entrecuisse, mes seins, l'accès à mon corps prenait une importance extrême. Et il n'y a pas que les obsédés à qui ça faisait cet effet. Ça intéresse presque tout le monde, une femme qui prend l'allure d'une pute. J'étais devenue un jouet géant. […] Ce processus m'a fascinée, au début. Moi qui m'était toujours contrefoutue des trucs de filles, je me suis passionnée pour les talons aiguilles, la lingerie fine et les tailleurs. […] Ça m'a plu, dans un premier temps, de devenir cette autre fille-là. […] Immédiatement, dès le costume d'hyperféminité enfilé : changement d'assurance, comme après une ligne de coke. » (pp. 67-69)
Tout ceci pose, il me semble, au moins trois questions, qu'on pourrait formuler comme cela....
Quels rapports entretient le féminisme...
- aux attributs traditionnels de la féminité ?
- à la relation de séduction (des hommes par les femmes) ?
- à la sexualité hétérosexuelle ?
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J'arrête là ce post, j'ai l'impression de m'être répétée et embrouillée (le titre de l'article il tape hein ? bon, le contenu est pas super à la hauteur ) ; mais je ferai d'autres nœuds sur le même thème dans le suivant....