Je suis revenue. Toutes mes confuses pour cette si longue absence. Je risque néanmoins de redisparaître, dans les semaines qui viennent... Je laisserai alors la méduse sous votre bonne garde – je vous fais toute confiance pour prendre soin de mon animal .
Pour mon retour discret, je vous propose quelques notes, griffonnées à partir d'un article de Diane Lamoureux disponible en ligne ici, sous le titre « Reno(r/m)mer la lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes ». Un article publié au printemps 2009 dans la revue Genre sexualité et société - par ailleurs une belle mine de textes à défricher.
Cet article traite des liens entre féminisme et lesbianisme, et plus particulièrement de la façon dont ces liens ont été théorisés par des figures de la seconde vague du féminisme états-unien. Les questions liées au corps et à la sexualité ont été au cœur des réflexions de la deuxième vague (à partir de la fin des années 1960) ; les féministes de la première vague (à partir de la fin du XIXe siècle) étaient elles bien plus préoccupées par l'égalité en droit des hommes et des femmes et la réforme des institutions.
Diane Lamoureux, professeure de sciences politiques à l'université de Laval, examine ainsi trois textes, trois voix du féminisme : un texte des Radicalesbians, un texte d'Anne Kodt, et un texte d'Adrienne Rich.
Dans les années 1970 le féminisme états-unien avait certes abandonné « la femme » au profit « des femmes », mais postulait encore une immédiate sororité due à leur oppression commune. Le paradigme dominant dans le féminisme de cette époque est le « standpoint feminism », qui met l'accent sur l'unité des femmes (tandis que le féminisme dit de la troisième vague insiste sur les différences entre femmes). La question lesbienne, en particulier, a fondamentalement été abordée par la deuxième vague sous l'angle du féminin ; cette boutade attribué à Ti-Grace Atkinson l'illustre à merveille : « Le féminisme c'est la théorie, le lesbianisme c'est la pratique. »
Les Radicalesbians sont un collectif de femmes lesbiennes états-uniennes fondé au printemps 1970 (qui se nomma d'abord « Lavender Menace » avant de prendre le nom de « Radicalesbians »). D'après Lindsay Branson sur le site de OutHistory, il faut voir dans la création de ce groupe militant deux origines : d'une part la lutte de femmes au sein du mouvement homosexuel, d'autre part celle d'homosexuelles au sein du mouvement des femmes. Le premier combat se jouait au sein du Gay Liberation Front, créé un mois après les révoltes de Stonewall, et se cristallisa, au printemps 1970, sur la question d'organiser des séances de danse réservées aux femmes. Ces soirées déclenchèrent de fortes oppositions dans les rangs des hommes homosexuels du GLF et certaines figures importantes comme Jerry Hoose and Michael Lavery quittèrent même l'organisation. Le second combat mettait aux prises ces femmes homosexuelles avec les membres de la National Organization for Women présidée par Betty Friedan, qui voyait dans les revendications des lesbiennes une « menace lavande » (« lavender menace »). Lors de la soirée d'ouverture de la seconde conférence pour l'Union des femmes, au mois de mai de cette même année, les lumières furent subitement éteintes ; les 400 féministes présentes dans l'auditorium purent découvrir, quand elle furent rallumées, une vingtaines de femmes portant des tee-shirts mauves « lavender menace », brandissant des pancartes (« Take a lesbian to lunch », « superdyke loves you », « the women's liberation movement is a lesbian plot »), qui leur lurent un texte intitulé « the Woman Identified Woman ». C'est sur ce texte que se penche Diane Lamoureux.
Pour les Radicalesbians en 1970, une lesbienne, c'est d'abord une femme. Cette identification volontariste des lesbiennes aux femmes ("the woman identified woman") est pensée comme une pratique critique du patriarcat et de sa dévalorisation du féminin.
Une femme, ensuite, qui refuse, qui est en résistance, en guerre, comme l'exprime la première phrase de ce manifeste, restée célèbre : « une lesbienne, c'est la rage de toutes les femmes condensée jusqu'au point d'explosion. »
Le lesbianisme est ainsi directement relié à la lutte féministe. Se soustrayant à la relation amoureuse et domestique avec un homme, la femme lesbienne se définit en dehors de sa relation à un homme ou aux hommes (ce qui faisait dire à Wittig que les lesbiennes n'étaient pas des femmes, la femme n'existant que dans sa relation hétérosexiste à l'homme). Le terme « lesbienne » en tant qu'insulte, expliquent les Radicalesbians, est balancé aux féministes parce qu'elles cherchent à (re)centrer les femmes sur elles-mêmes et sur leurs propres besoins, plutôt que de les mettre au service des hommes : il sert à rappeler que dans une société sexiste, « femmes et personnes sont des oxymores ». La véritable force révolutionnaire naît de relations entre les femmes non médiatisées par des hommes. Cette idée de médiation obligatoire par le masculin et la classe des hommes, en tant qu'outil essentiel de l'oppression des femmes, est développée par Nicole-Claude Mathieu dans son Anatomie politique : les hommes jouent comme un « objet interposé dans [la] conscience » des femmes (p.165) ; « l'envahissement du conscient et de l'inconscient des femmes par leur situation objective de dépendance aux hommes et le type de structuration du moi qui en découle » (p.171) est l'un des leviers de l'oppression.
« Jusqu'à ce que les femmes voient dans d'autres femmes la possibilité d'un attachement fondamental qui inclut l'amour sexuel, elles se dénieront l'amour et la valeur qu'elles accordent spontanément aux hommes, confirmant ainsi leur statut subalterne », énonce le texte des Radicalesbians.
C'est parce que les relations avec d'autres femmes les renvoient à leur propre oppression et à leur propre haine d'elles-mêmes qu'une grande partie des féministes témoignent tant de réticences vis-à-vis du lesbianisme. A l'inverse, nouer une relation d'amour avec une femme c'est déjà s'émanciper, car outre que cela signifie se passer d'un homme et des hommes, soustraire son corps aux désirs masculins (n'être plus concernée), c'est aimer ce qu'on nous a appris à mépriser, reconnaître la valeur du groupe des femmes, dont on est – restaurer son amour de soi, surmonter le décentrement et l'aliénation.
Dans la suite... ben la suite (sous la houlette d'Anne Koedt & Adrienne Rich).