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1 février 2010 1 01 /02 /février /2010 10:15

Elsa Dorlin a ensuite abordé d'autres aspects de l'audition de Badinter et plus généralement du discours sur la burqa. Il a été question de jupe et de norme de la féminité, de victimes, de conversion.

Selon Badinter la burqa "pose la question de la liberté de porter une jupe".
Plutôt marrant au su de toute l'histoire de la jupe comme marque de la soumission des femmes (impossibilité de courir, signe de la disponibilité sexuelle, etc.)

[Je pense à ce génialissime passage de Guillaumin :
"Les jupes, destinées à maintenir les femmes en état d'accessibilité sexuelle permanente, permettent de rendre les chutes (ou de simples attitudes physiques atypiques) plus pénibles pour l'amour-propre, et la dépendance mieux installée par la crainte qu'elles ne manquent pas d'entretenir insidieusement (on n'y pense pas clairement) sur le maintien de l'équilibre et les risques de la liberté motrice. L'attention à garder sur son propre corps est garantie, car il n'est nullement protégé mais au contraire offert par cette astucieuse pièce de vêtement, sorte de volant autour du sexe, fixé à la taille comme un abat-jour." (Sexe, race et pratique du pouvoir, p.86)
et à cette horreur de film non vu, qu'il faudrait que je me force à regarder pour mesurer l'ampleur de... l'horreur : La journée de la jupe.]

La norme dominante de la féminité, aujourd'hui (portée comme un drapeau dans tous les magazines féminins) - porter la jupe avec les cheveux découverts.
La loi sur la sécurité intérieure de 2003, avec sa mention du racolage passif, vient néanmoins nous rappeler que la jupe ne doit pas être trop courte ("le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive...")
Cette norme nationalisée de la féminité définit donc ce qui est licite et illicite en termes de dévoilement des corps dans l'espace public.

Lors de la "première affaire du voile" de 1989 (qu'on peut déjà considérer comme la seconde si l'on prend en compte l'affaire algérienne de 1958), et jusqu'à la loi de 2004, les filles et femmes portant le voile étaient majoritairement regardées comme des victimes (de la tradition barbare/ des pères et des maris) ; on avait affaire, dans les discours, à de purs objets sans voix / choix. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : les personnes arborant le niqab font de plus en plus figures d'agents actifs, leur geste est perçu comme prosélyte, et/ou politique : il s'agirait d'un geste politique revendicatif et identitaire.

L'égalité entre les sexes est, toujours d'après ce discours, menacée de l'extérieur : pour les femmes étrangères, la violence vient de l'espace privé (polygamie, mariages forcés, excision, violences domestiques) ; pour les femmes "françaises, blanches", elle vient de l'espace public, et l'ennemi par excellence est la bande de jeunes - singulièrement la bande de garçons arabes, dont parle Nacéra Guénif-Souilamas.
La violence contre les femmes est exotisée, par définition exogène à la nation française. (Le principe d'égalité entre les sexes est ainsi nationalisé et culturalisé à outrance... à ce sujet voir ici (entre autres)).

E. Dorlin évoque à la fin de son intervention un texte de Franz Fanon, "L'Algérie se dévoile", dans lequel il traite des cérémonies de dévoilement sur la Grand Place à Alger en 1958. Fanon parle d' "attaques psychologiques", mettant en scène un dispositif de conversion à l'Algérie française et aux "valeurs françaises".
Pendant l'insurrection à Alger, les hommes algériens ne pouvaient plus du tout pénétrer dans la ville ; les femmes le pouvaient si elles étaient dévoilées et faisaient suffisamment montre de leur "européanisation".
Les hommes étaient ainsi exclus de ce dispositif de conversion possible - racialisés à outrance.

                                                *                         *                       *

Bon, j'espère de tout coeur ne pas avoir trop massacré la pensée d'E. Dorlin. Ne pas en avoir fait trop de bouillie ou de coquillettes. La deuxième partie me semble un peu...chamboulée, mais les notes sur mon cahier sont elles-mêmes chamboulées.
En tout cas, ce lundi, ça m'avait semblé tout sauf de la pâtée pour chats, ce topo.

(Un tout petit bonus en prime : le hijab est le nom générique du voile islamique ; le tchador est sa version iranienne. Le niqab désigne le voile intégral, noir. Le tchadri est le voile intégral, souvent bleu, avec un petit grillage sur le visage, porté en Afghanistan, au Pakistan et en Inde. Au sens strict la burqa est un tchadri, ces deux mots sont synonymes.)

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23 janvier 2010 6 23 /01 /janvier /2010 19:51

Le 11 janvier dernier, je me suis incrustée (en bon animal marin que je suis) au séminaire du Cedref (Centre d'enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes, qui dépend de Paris 7) ; Elsa Dorlin y intervenait, sur le thème mentionné dans le titre de l'article.
Je m'en vais vous bégailler une sorte de résumé de ce que j'y ai pioché.

Dans le cadre de la commission d'enquête sur la burqa (et sur l'opportunité d'une loi l'interdisant), différentes personnalités ont été auditionnées ; Elsa Dorlin se proposait d'étudier quelques aspects de l'audition d'Elisabeth Badinter.
Une citation de l'éminente philosophe nous a mis dès l'abord dans le bain - qui disait à peu près ceci : "finalement dessous on ne sait pas si se cache une beauté ou une mocheté, ou même un homme ou une femme."
Dans tout le fil de l'intervention de Badinter, nous dit E. Dorlin, il est question de visibilité et d'identification.

Pour cette raison, le débat autour de la burqa est à mettre en rapport avec la proposition récente d'un "décret anti-cagoule", interdisant de se masquer le visage dans l'espace public. Une telle interdiction existe ailleurs en Europe, en Belgique par exemple. Les raisons invoquées ont trait à la sécurité (pouvoir être repéré / identifié / fiché ? / suivi / surveillé) ; on peut se demander si elles n'entretiennent pas, aussi, des liens avec la question du travestissement.

Elsa Dorlin indique en introduction qu'elle va envisager le discours d'Elisabeth Badinter (ce discours-là en tant qu'il est représentatif de nombreux autres - enfin ça c'est moi qui le dit ; et aussi ce discours en tant qu'il a été très relayé dans les médias) comme "un symptôme dans la construction d'une mythologie nationale". Cette mythologie est à comprendre au sens où Roland Barthes la définissait : comme production d'un système de sens, qui renvoie à une communauté nationale homogène.

Elle s'appuie sur les concepts du philosophe italien Giorgio Agamben ; selon lui, nous sommes passés d'une société où prévalait "la personne sans identité", à une société où prime "l'identité sans personne".
Bon alors là, il faudrait évidemment que j'aie sous la main le dernier livre d'Agamben, Nudités, dans lequel il expose sa thèse d'une "identité sans personne" - ce qui n'est pas le cas ; je n'ai jamais lu ce bon monsieur, et pour dire la vérité, j'ignorais jusqu'à son existence avant de pénétrer dans la salle du Cedref - mince. (En même temps, à en lire une critique/CR, ça me donne pas trop envie de faire le saut.)

Mais comme Dorlin est sympa, elle nous explique un peu la tambouille du bonhomme.
La personne renvoie aux masques sociaux que nous revêtons dans nos diverses interactions (qui est définie, j'imagine, justement par et dans l'interaction : à la fois par ce que je dis de moi (mes vêtements, mon hexis corporelle, etc.) et ce que l'autre décode, interprète et projette) ; quand on apparaît dans l'espace public, on n'est pas nus, on porte des masques sociaux qui sont les signes de nos multi-appartenances. Je reconnais toujours socialement quelqu'un (en reconnaissant ses masques et ses stigmates) ; ce faisant je lui accorde une place dans les rapports sociaux.
Tandis que l'identité... ? heu, je dirais (j'insiste sur le je, dans toute sa faillibilité) que l'identité renvoie à un mode de saisie "fixiste" de l'autre : le nom (point), les infos comme figurant (rigidifiées) sur les papiers d'identité.
Agamben parle d' "identités sans personnes" au sujet de la place grandissante des techniques de la biométrie dans nos sociétés : techniques qui tendent à assimilier l'individu à un ensemble de données (cf le lien vers le CR).
Le primat de la "personne sans identité" caractériserait le modèle de l'universalisme abstrait.

Revenons donc à notre burqa.
E. Dorlin rappelle que le voile intégral est un "signe" très parlant, très clair, pour une saisie de la personne à qui l'on a affaire. En revanche ce voile empêche la "saisie anthropomorphique" (l'expression est d'Elsa Dorlin) de l'individue.
Affirmer, comme l'a fait E. Badinter lors de son audition et comme le font de très nombreux intervenants dans le débat, que le port de la burqa empêche que l'on sache à qui on a affaire, c'est considérer que l'on sait non pas quand on a décodé les signes de l'interaction, mais quand on a vu le visage : vu s'il était noir, blanc, rond, anguleux, beau, laid. Alors on sait qui est en face de nous.

(Mes notes : la burqa est un masque social tout à fait identifiable, un signe social lisible, donc la personne est identifiable. Ce qui pose problème, c'est l'identité.)

Ce traitement du "problème de la burqa" est ainsi un symptôme qui fait sens dans la construction de notre mythologie nationale : être français.e, aujourd'hui, suppose de se soumettre au jeu de la correspondance à un prototype (un jeu de correspondance qui fonctionne de pair avec un processus d'ethnicisation).
Porter la burqa, c'est se soustraire à sa saisie anthropomorphique par autrui, et donc au jeu de la correspondance à tel ou tel prototype.

La reconnaissance sociale ne se fonde plus sur la reconnaissance des masques sociaux qui me situent, mais sur des déterminismes définis une fois pour toutes.

(La suite dans un prochain post... quel suspens.)

(Pour patienter vous pouvez toujours aller faire un saut ici.)

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Chez la méduse. Glânez comme bon vous semblera.
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