Pourquoi diable ai-je appelé ce blog comme ça ?
(ou : qu'est-ce que la méduse a à voir avec le schmilblick ?)
(et encore : depuis quand les mollusques font-ils des tas ?)
Alors, il faut d'abord que je vous parle de mes pierres.
Que je vous présente ensuite la méduse.
Dans la troisième partie de mon opéra je vous danserai le triolet du tas :)
De 1971 à 1973 est publié en France "Le torchon brûle", journal féministe ; six numéros sortiront. Dans le numéro zéro on peut lire :
« Soyons chacune, aujourd’hui, maintenant, un individu entier : plus de fragments, plus d’essence des femmes (la féminité), plus de merveilleux petits animaux incompréhensibles mais en fait très bien compris puisque créés de toutes pièces par eux : qu’ils ne rencontrent que des blocs. Je suis venue créer avec vous un bloc. Je suis venue me changer en pierre. »
Cette citation, sur laquelle je suis tombée en lisant des bouts du cinquième tome de l'Histoire des femmes en Occident (Perrot / Duby), il y a plusieurs années, m'a plu ; d'où le nom de domaine de la Méduse.
parce que les pierres peuvent servir à plein de choses.
Pas seulement à se planquer dedans, tranquille, au coin de la cheminée, pendant que le loup s'époumone dehors sans rien ébranler du tout - pas un de nos cils.
Ca peut aussi se lancer.
(Il me semble pour ma part que je n'ai jamais lancé que de piteux gravillons.)
Ca peut s'entasser, consciencieusement, dans la tête.
La méduse, je l'ai choisie pour tout un tas de raisons, et pas seulement pour ses petits yeux vicieux qui pétrifient l'ennemi (principal ou accessoire).
Elle m'a plu parce qu'elle est monstrueuse.
(Les gorgones sont des créatures malfaisantes, elles ont des ailes, des grandes dents, des serres et des défenses de sangliers ; démons, furies, harpies, mégères).
Parce que j'adore le début du bouquin de Virginie Despentes, sa King Kong théorie, pleine de filles repoussantes et de têtes de serpents :
"J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf." (p.9)
Les monstres me rappellent l'oncle de Butler.
"J'ai grandi en me familiarisant, si l'on peut dire, avec la violence qu'exercent les normes de genre : un oncle incarcéré à cause d'un corps anormal, privé de famille, d'ami.e.s, vivotant jour après jour dans un "institut" dans les prairies du Kansas [...]. A quoi aurait dû ressembler le monde pour que mon oncle pût vivre en compagnie de sa famille, d'ami.e.s, ou de parents éloigné.e.s ? Comment doit-on repenser les contraintes liées aux morphologies idéales qui sont posées sur l'humain pour que la personne qui échoue à s'approcher de la norme ne soit pas condamnée au statut de morte vivante ?" (p.42/43)
Moche et méchante, démembrée, la méduse est aussi ce petit animal flasque qui se répand - là aussi elle a tout pour me plaire.
Pas dynamique pour un sou, pas responsable, pas entrepreneuse, pas pressée - qui se prend pas en main, et qui va pas de l'avant ; une petite mollusque qui se traîne en bavant ; qui gémit, qui glapit, qui se plaint, qui geint aussi - qui adore se victimiser, parce que/quand elle est victime.
Parce que je n'aime pas cette mode en vogue, d'un "autre" féminisme, d'un féminisme "à contre-courant" ( ? ), voire (pire) "non politiquement correct", qui 1/ dirait non à "la guerre des sexes" 2/ s'opposerait à la "victimisation".
Ca me fait penser à ce passage (encore) de la King Kong théorie :
"Dans Elle, une imbécile quelconque, chroniquant un autre livre sur le viol, sans le moindre rapport avec le mien, souligne la dignité du propos, se sent obligée de l'opposer aux "vagissements" que je produis. Je ne suis pas assez silencieuse, comme victime. Ca mérite qu'on le souligne dans un journal féminin, c'est un conseil aux lectrices : le viol, d'accord, c'est triste, mais doucement sur les vagissements, mesdames. Pas assez digne. Je t'emmerde." (p.130/131)
Alors voilà, la méduse, avec ses pierres. J'en ai bavé, pour ce piètre résultat ; ça a donné du... "la méduse d'à côté", "la méduse y pense", "l'autre méduse essaie d'y penser", et puis voilà, finalement, j'en suis venue au tas, parce que quand même...
En lisant le petit (tellement dense (lourd/plein de bonnes pierres)) bouquin d'Elsa Dorlin, "Sexe, genre et sexualités - Introduction à la théorie féministe", je me suis esclaffée (si si) à la lecture d'une note de bas de page :
"[là c'est pas la note] Les deux sources majeures de cette pensée de l'essentialisme symbolique ou culturaliste des sexes sont la psychanalyse et l'anthropologie structuraliste. Deux sources que Monique Wittig appelle "la pensée straight" : "femme", "homme", "différence", mais aussi "histoire", "culture", "réel", "fonctionnent comme des concepts primitifs dans un conglomérat de toutes sortes de disciplines, théories, courants, idées, que j'appellerais "la pensée straight" " et qui se caractérise par sa "tendance immédiatement totalisante". [petite note de bas de page : ] Monique Wittig, La pensée straight, trad. M.-H. Bourcier, Paris, Balland, 2001, p.71. Et que Christine Delphy appelle le "tas" - de représentations (L'ennemi principal, II, p.259)." (p.57)
(Quoi, vous trouvez pas ça hilarant ? le "tas" ?)
J'ai été un peu déçue en mettant le nez dans l'ennemi, parce qu'en fait c'est beaucoup moins marrant dans le texte original ; mais tout de même. Comme j'hésitais déjà sur le concept de "nébuleuse", en tant qu' "amas peu homogène de quelque chose" (patch-work, chutes, pas-perdu), m'atteler au pelletage d'un contre-tas ne m'a pas paru sans charme.
Je viens commencer ici mon tas de pierres.
Mon autre tas (de représentations).
(Que chacun-e se serve comme chez elle/lui.)