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18 juillet 2010 7 18 /07 /juillet /2010 14:50

Cette petite présentation prenait place à la fin du colloque sur Penser la violence des femmes, le 18 juin dernier.


Elsa Dorlin annonce qu'elle s'intéresse depuis quelque temps aux représentations de la violence féminine en groupe dans les produits de la culture populaire. Elle y cherche les traces de l'émergence d'une mythologie (dans le sens que Donna Haraway donne à ce mot) féministe ou proto-féministe.

A la fin du Manifeste Cyborg, D. Haraway en appelle à la nécessité de construire des mythologies pour lutter, des mythologies qui feraient écho à nos conditions matérielles d'existence.

Dorlin inscrit son propos dans le sillage d'Audrey Lordre et de ses textes sur le rôle de la colère et de la rage : une expérience émotionnelle productive d'un imaginaire politique.


La violence féminine en groupe est presque systématiquement pathologisée, ramenée à une forme monstrueuse de féminité ; elle n'est quasiment jamais présentée sous un jour positif, pourtant ces représentations peuvent susciter en nous du désir, nous faire envie, du point de vue d'une conscience féministe. Ce désir a à voir avec notre propre puissance d'agir, ainsi qu'avec une part de misogynie présente au sein du mouvement féministe lui-même : une part de déconsidération, d'écœurement face aux normes de féminité (quelque chose de l'ordre d'une culture misogyne qui met d'emblée mal à l'aise, nous dit Dorlin).


switchblade_sisters.jpgA partir de la seconde moitié du XXe siècle apparaît un corpus de films qui mettent en scène des groupes de filles usant et jouissant de la violence. Il s'agit de films de série B brodant autour de la délinquance juvénile ; des jeunes filles s'arrogent les prérogatives de la masculinité, mais restent sous la coupe d'un groupe de garçons. Le premier de ces films, The violent years / Girl Gang, date de 1954. Dans les films d'horreur ou de zombies, les violences contre les femmes sont très souvent l'occasion de montrer des scènes de sexe qui passent d'abord pour des scènes d'horreur, et ne sont à ce titre pas censurées. Ici aussi, la violence est l'occasion de montrer du sexe, mais il s'agit d'un sexe différent, pas strictement hétéro ou virilo centré.


A la fin des années 1970 apparaît un nouveau genre de films : le « rape and revenge », du type I spit on your grave. Le film s'ouvre par une scène de viol collectif (qui est l'occasion de montrer du sexe), puis la femme violée va tuer successivement chacun de ses agresseurs. Ici la violence est individualisée et psychologisée, il n'y a plus de représentation de violences collectives. Il n'y a pas de conscience d'une injustice sociale ou d'un rapport de pouvoir.La violence individuelle est à rattacher à un traumatisme premier (viol, meurtre d'un enfant...) [Dans Kill Bill de Tarantino, l'héroïne était violente avant d'être violée, note E.D.]


En 1996 sort A gun for Jennifer, que Dorlin qualifie de film super féministe, l'occasion d'une jouissance féministe hardcore (avec de véritables scènes de tortures de personnages masculins). Dans Baise-moi ou Thelma et Louise, les femmes meurent à la fin ou se détruisent, ce qui limite la portée subversive du récit. Dans Wonderwoman la figure de la femme forte relève de l'exceptionnel et s'apparente plus à une mascarade.

Le film Switchblade sisters, qui sort en 1975, se veut une parodie du mouvement féministe et met en scène un groupe de femmes ultra violentes et conscientisées. Bien que ce soit explicitement un film anti-féministe, ces scènes peuvent être source d'une réelle jouissance – E. Dorlin nous dit s'éclater en le regardant :)

Elle clôt sa présentation en nous projetant la scène finale de Boulevard de la mort de Tarantino, pour illustrer le plaisir qu'est susceptible de déclencher une représentation de violence collective.

 

Le propos d'Elsa Dorlin, et la projection de l'extrait de Tarantino, ont éveillé pour moi pas mal de questions sur le statut de cette jouissance liée à la violence. En réalité, seule, je n'aurais peut-être pas prêté autant d'attention à ce statut problématique – parce que j'adhère assez au point de vue de Dorlin, que moi aussi je ressens ce plaisir, ça me fait rire, ça m'éclate. Ca passe donc comme un cours d'eau, cette idée-là dans ma tête. Mais il se trouve que l'amie avec laquelle j'ai assisté à ce colloque n'a pas goûté du tout ce plaisir – au contraire, cette scène l'a mise très mal à l'aise.

 

Que faire de la jouissance que l'on éprouve à voir des personnes s'en prendre plein la face, se faire démolir physiquement dans une fiction ? Quel lien avec le plaisir qu'on éprouverait peut-être en vrai, et surtout : quel statut moral lui accorder ? Est-ce que je dois lutter contre ce penchant, est-ce que je dois me rouler dedans ?...

Dans nombre de films – et de fictions plus généralement – les « méchants » se font ratatiner à la fin (depuis le loup de Grimm noyé au fond du puits, le bide gonflé de cailloux) ; on prend du plaisir à assister à ce ratatinage – certes plus ou moins euphémisé.

Pulsions bestiales à domestiquer, moyen d'éprouver indirectement sa propre puissance d'agir ?...

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commentaires

E
<br /> je comprends tout à fait le propos du commentaire plus haut. Mais je pense que la féminité, ou plutôt les féminités en tant que codes, pratiques etc, ne donnent pas les ressources permettant de<br /> mener une lutte cohérente et qui aboutisse sur une victoire. A long terme.<br /> <br /> Je suis d'accord avec vous lorsque vous analysez le clip de Beyoncé, ainsi que toutes les autres formes de soit disant puissance des femmes qui agissent contre des hommes de classe ou de race<br /> pensées comme inférieures.<br /> <br /> Il n'y a rien qui permettent de penser une émancipation collective des femmes puisque cela ressemble bien à une projection du maître blanc sur la façon d'avilir l'homme prolétaire et/ou noir, arabe<br /> etc.<br /> <br /> Et cet avilissement passe par le fait de le féminiser ( en étant rabaissé par une femme), ce qui montre qu'il n'y a vraiment rien d'émancipateur collectivement pour les femmes puisque c'est le<br /> féminin (qui est assigné aux femmes) qui sert à avilier, mépriser etc. [Je pense en écrivant cela à un texte de Raphaëlle Branche sur le genre dans les violences de guerre dans lequelle elle<br /> montrair - d'après ce que j'ai compris- que le genre à travers la violence des femmes soldats américaines contre les irakiens était une ressource à la fois raciste et sexiste. Donc cette violence<br /> des femmes est encore un exemple de ce que vous disiez.)<br /> <br /> Et parce que je partage totalement votre analyse sur le côté pas trop (voire pas du tout) subversif de cette violence des femmes, je pense que leur émancipation doit se faire à partir d'un "en<br /> dehors" de la relation binaire masculin/féminin, car selon moi, les codes masculins sont les seuls qui permettent de prendre/d'être le pouvoir, mais ils appartiennent au maître et vous avez très<br /> justement laissé entendre que ce ne sont pas ses outils qui permettront de détruire son système.<br /> <br /> Donc puisque le masculin malgré ce qu'il permet ne détruit jamais rien puisqu'il est l'outil du maître, et qu'à mes yeux le féminin (dans sa définition normative: émotions, intérieur, privé,<br /> sentiments, douceur etc) ne peut jamais rien produire qui ne permettent le pouvoir, il faut réussir à penser et à pratiquer un en dehors du genre.<br /> <br /> Et oui, il faut que ça passe par des théories et des pratiques qui soient collectives, subversives et pas seulement transgressives.<br /> <br /> La question est alors de savoir comment dans un monde où il y a tant d'imbrications entre plein de rapports de pouvoir, ce qui rend l'oppression sexiste très contextuelle, très relative selon les<br /> lieux, les enjeux etc, comment créer ces théories et pratiques qui peuvent réellement affaiblir pour l'annihiler le système de genre dans tout ce qu'il a d'oppressif. Moi j'arrive toujours pas à<br /> trouver...<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> - Bader : en fait je ne comprends pas trop pourquoi vous écrivez que "vous ne partagez pas du tout les idées d'Elsa Dorlin sur la violence des femmes", parce qu'elle n'a pas présenté ses idées<br /> sur le sujet ; elle a présenté différents films, qui mettaient en scène, de différentes manières, des femmes violentes ; elle montre que ces produits culturels soulèvent de nombreuses questions,<br /> mais ne dit pas "la violence des femmes / ou : les films sur les femmes violentes, c'est génial"...<br /> <br /> <br /> - Ev : tu trouves que la violence des femmes n'a pas trop voire pas du tout de portée subversive ? ah bon ?.... bé... la violence est une ressource, tout de même. Une ressource très inégalement<br /> distribuée. On nous désapprend la violence (violence physique en particulier), à nous, les filles - et en cela (aussi) on nous désarme.<br /> <br /> <br /> Quand je reste sidérée (au sens fort), quand un usager de ma bib, homme évidemment, me crie dessus, que je perds tous mes moyens, que les larmes me montent aux yeux, que je suis liquéfiée, que<br /> j'y pense ensuite encore et encore - c'est un effet de la distribution asymétrique de la violence comme ressource, entre lui et moi.<br /> <br /> <br /> non ?<br /> <br /> <br /> (bon, s'agit pas non plus de glorifier toute forme de violence en soi utilisée par une femme hein ! juste de réfléchir dessus.... tout ça.)<br /> <br /> <br /> :)<br /> <br /> <br /> Après, je me demande s'il ne faut pas défaire le lien entre hommes et virilité, et entre femmes et féminité - et la virilité ne serait pas "les outils du maître", mais des outils tout court,<br /> parmi d'autres disponibles... (contre la binarité et l'essentialisation des identités ?)<br /> <br /> <br /> merci pour ton comm'<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Il me semble qu'il y a un gros problème dans ce genre de réflexion sur la violence des femmes... Dans ce clip avec Beyoncé :<br /> http://www.youtube.com/watch?v=EVBsypHzF3U<br /> le seul homme tué se trouve être l'homme noir par la femme noire. Quand on connait la symbolique raciale d'une femme comme Beyoncé aux traits plus européens et à la peau plus claire que la plupart<br /> des femmes noires, et le rôle qui a été attribué aux femmes noires contre les hommes noires, on ne peut que ressentir un malaise. En fait ce probleme est au delà de la simple question raciale que<br /> pose ce clip. Il me semble que c'est une projection masculine dans un corps de femme qui produit ce genre de réflexions.<br /> <br /> Dans le film que vous avez présenté comme dans celui d'Uma Thurman, la femme agit seule en combattant. Est écarté totalement la possibilité d'une revanche des femmes par les femmes collectivement,<br /> ou l'empêchement de ce genre d'action par une quelconque forme d'action de la part des femmes. Seule est mise en avant la vengeance individuelle.<br /> <br /> Dans beaucoup d'autres représentations de la violence des femmes, souvent contre des hommes de classes inférieures ou de race inférieure d'ailleurs, il me semble voir plutôt une forme pervertie<br /> d'émancipation féminine. Une émancipation avec les outils du maîtres dirait certaines, mais je vois surtout une émancipation pilotée par le maitre lui-même...<br /> <br /> Ca me fait penser à une étude sur les femmes policières qui montrait qu'elles luttaient contre le sexisme notamment en se distinguant des "bonnes femmes", c'est à dire des femmes qui sont assignés<br /> à des roles de femmes dans le commissariat.<br /> <br /> Bien sur il ne s'agit pas de proner l'idéologie de la non-violence, ou d'un quelconque effort d'essentialisation de la féminité, mais de restauration de la possibilité d'une forme collective de<br /> mobilisation des femmes dans des actions qui leur soient propres. C'est à dire la possibilité que des femmes qui soient dans des roles de femmes, c'est à dire la grande majorité des femmes,<br /> agissent d'où elles sont, avec leurs manières d'agir.<br /> <br /> Dans le film Aicha, de Benguigui sont d'ailleurs ridiculisées les femmes du Hammam, montrées comme des commères etc. Seule est montrée sur un jour positif les femmes modernes refusant le triple<br /> ghetto des femmes, de la banlieu et raciale. L'émancipation passerait par quitter l'univers des femmes du ghetto, l'univers ethnique des arabes, l'univers territorial de la banlieue pour arriver je<br /> ne sais où...<br /> <br /> Si je fais le rapport avec la race, il me semble d'ailleurs que ce n'est pas éloigné du "Black power" stérile à la sauce bobo blanc qui consiste à prôner la Nature essentialisé du Noir qui fait du<br /> jazz, de la funk etc. sapé sobrement comme dans les années 5O mais lui dénier en même temps le droit à une culture africaine souvent bigarrée et pas assez Black : teinte des cheveux en rouge, blond<br /> platine, mode vestimentaire extravagante considérée comme aliénée...<br /> <br /> Je ne sais pas si j'ai été très clair, mais je pense que vous avez bien vu que je ne partage pas du tout les idées de Elsa Dorlin sur la violence des femmes.<br /> <br /> <br />
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